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« Quand les associés n’arrivent pas en nombre, dit-il, l’association, ne pouvant pas repousser la clientèle, est bien obligée de prendre des auxiliaires ; mais il n’est pas admissible de leur accorder des bénéfices quand d’une part on n’est pas sûr de les réaliser, et que de l’autre on n’a aucune garantie contre les pertes qui peuvent survenir après le partage des bénéfices. Si l’association leur accordait des droits aux bénéfices, ils auraient par conséquent celui de les contrôler. Peut-on leur accorder le droit de s’immiscer dans des affaires où ils n’ont aucune responsabilité ? Vous voyez donc que ce qui serait beau en théorie n’est pas toujours possible dans la pratique. Je ne puis que répéter ce que j’ai dit en parlant du crédit au travail : il est fâcheux que les théories les plus séduisantes passent chez nous à l’état de dogmes, et qu’elles trouvent des apôtres avant d’avoir passé au creuset de l’expérimentation. » Voilà une confession édifiante et bonne à recueillir ; c’est un ouvrier qui parle, ne l’oublions point. Le même comité de coopérateurs s’est plaint qu’on ait vu « le concours d’auxiliaires faire crouler des associations par l’obligation de les payer si cher qu’il ne restait rien pour les associés. » Malheureusement il y a deux langages comme deux morales ; les mêmes hommes qui, en tant qu’associés, se plaignent du taux excessif des salaires revendiqueront hautement le lendemain en qualité d’ouvriers une rémunération beaucoup plus considérable. Une des raisons qui ont fait crouler un grand nombre de sociétés de production, c’est la parcimonie des ouvriers à l’endroit des gérans. C’est un parti-pris dans la classe ouvrière de ne tenir aucun compte du travail intellectuel : la société des maçons fait un chiffre d’affaires de plusieurs millions, et réalise des bénéfices de près de 200,000 fr. par an ; cette prospérité est due, pour la plus grande partie, à l’intelligence des trois hommes qui la dirigent. Croirait-on cependant que la part de ces gérans jusqu’à ces dernières années n’était point supérieure à celle des autres associés ? On s’est résolu enfin à leur faire des avantages particuliers par la crainte de les perdre : on ne peut fonder une société commerciale sur l’ascétisme.

Tels sont les trois types de sociétés coopératives. À part quelques exceptions, en très petit nombre et fort honorables, on n’a guère à enregistrer dans cette histoire que des désastres. On avait voulu réformer le monde, refouler tous ces parasites qui s’appellent les commerçans, les banquiers, les patrons, en un mot les bourgeois ; on n’est arrivé qu’aux plus insignifians résultats. Depuis dix ans, il ne s’est pas constitué dans les cadres de la coopération une seule maison vivace. La société des ouvriers maçons et quelques autres qui font de bonnes affaires sont antérieures à tout le bruit que l’on a fait autour du principe coopératif. On a prodigué les brochures