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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/173

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qui n’en abusaient pas pour leur propre intérêt, mais qui n’en firent jamais qu’un peuple d’enfans.

Une délimitation de frontières, née du hasard ou du caprice plutôt que d’une pensée politique quelconque, et qui fut très légèrement adoptée, fit passer une partie des réductions de la domination espagnole à celle du Portugal. Quoiqu’on eût réservé aux malheureux Indiens la faculté d’émigrer sur les territoires qui restaient à l’Espagne, cette transmission répandit le désespoir parmi eux. Ils avaient des raisons pour ne pas aimer les Brésiliens, dont ils croyaient avoir tout à redouter, car ceux-ci, autant qu’ils le pouvaient, s’emparaient de la race rouge pour la tenir en esclavage. Ils se soulevèrent donc. Les autorités du Brésil écrivirent à Lisbonne que les jésuites étaient les instigateurs et les meneurs de la rébellion, et le cabinet portugais supposa qu’il avait là un sujet nouveau de ressentiment contre eux. M. Gomès regarde comme établi qu’ils étaient coupables de ce qu’on leur imputait. Southey, dans sa grande Histoire du Brésil, où il s’est entouré de tous les renseignemens en remontant aux sources, est d’une opinion entièrement opposée. Il affirme et il prouve, croyons-nous, que les jésuites furent étrangers à l’insurrection des malheureux Indiens. Il montre que, si les hommes influens du Brésil, et à leur instigation les fonctionnaires brésiliens attaquèrent alors les jésuites et les dépeignirent sous des noires couleurs, c’est que ces religieux, se conformant en cela non-seulement aux instructions générales de la cour de Rome, mais à la pensée humaine du gouvernement portugais, étaient les protecteurs infatigables des indigènes contre leurs oppresseurs. Quoi qu’il en soit, Pombal, qui déjà détestait les jésuites et qui ne haïssait jamais à demi, crut tout ce qu’on lui écrivit du Brésil contre eux.

Il leur fit retirer les fonctions qu’ils exerçaient près du roi et des membres de la famille royale, et interdire l’entrée du palais. Il rendit deux édits pour la mise en vigueur d’une bulle du pape régnant, Benoît XIV, qui leur avait interdit le commerce, et dont ils n’avaient pas tenu compte. Il agit auprès du saint-siège pour qu’ils fussent non-seulement réprimandés, mais réformés. Il avait pour ambassadeur à Rome son cousin, le commandeur d’Almada, homme actif et plein de zèle, qui lui obéissait aveuglément, et dont la principale affaire, pendant la longue résidence qu’il fit dans la capitale du monde chrétien, fut de combattre les jésuites. Le cardinal Saldanha fut en effet nommé, par un bref du pape, visiteur pour effectuer la réforme de la société de Jésus. Le cardinal patriarche de Lisbonne, dom José Manuel, leur retira la confession et la prédication dans son diocèse, et les autres évêques du Portugal imitèrent cet exemple.

On en était là, lorsque, l’attentat du 3 septembre ayant eu lieu,