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royaume, ou de les recevoir chez soi, ou d’entretenir une correspondance avec eux. En conséquence, près de six cents jésuites de tout âge furent entassés pêle-mêle dans un navire à destination de Civita-Vecchia, dans les états pontificaux, où on les jeta sur la plage après un voyage de trente-sept jours. La nouvelle de cette proscription n’était pas encore parvenue à Rome lorsque le pape expédia un courrier qui envoyait au nonce de Lisbonne l’autorisation de livrer au bras séculier Malagrida et les deux autres jésuites, mais avec la restriction que ce précédent ne ferait pas autorité pour l’avenir. D’autres lettres du saint-père imploraient la miséricorde du roi en leur faveur, et le pressaient en termes touchans, dit M. Gomès, de ne pas proscrire la société de ses états, et de se contenter de la réforme ordonnée par son prédécesseur Benoît XIV. Un mémoire joint à ces lettres contenait des plaintes contre l’ambassadeur portugais d’Almada, et réclamait pour le nonce la faculté de prendre connaissance des crimes dont il s’agissait.

La condescendance du saint-siège, sous des conditions qui, sauf en un point, l’intervention du nonce dans l’examen du procès, n’étaient pas excessives par rapport aux idées du temps, ne suffit pas à Pombal. Il réclama par un mémoire très vif. La cour de Rome tint bon ; le gouvernement portugais, mécontent, se montra froid et même impoli envers le nonce. Celui-ci, piqué du manque d’égards dont il avait été l’objet, s’abstint d’illuminer son palais le jour où le frère du roi se mariait. En réplique, il reçut l’ordre de quitter Lisbonne dans un délai de quatre jours, et il dut obéir sans obtenir même le temps de parler le jour de son départ à l’ambassadeur de France, qui était son ami, et qui était venu lui apporter ses consolations.

Le roi, quoiqu’il fût dévot en même, temps qu’adonné aux plaisirs, se résigna aux volontés de son ministre. Pombal, ayant à ce moment rencontré ou cru rencontrer des résistances, les brisa violemment. Plusieurs personnes de la cour et des dignitaires de l’église furent, les uns jetés en prison, les autres exilés sans jugement ; mais, dit M. Gomès, ce qui fit frémir Lisbonne d’étonnement et de crainte, ce fut l’exil des deux frères du roi, les infans dom Antonio et dom José. Ils furent conduits, sous l’escorte de quarante cavaliers, au couvent des carmes-déchaussés de Bussaco, avec défense d’en sortir sans la permission du roi. Tout ceci se passait avant le supplice du père Malagrida.

C’est une question qu’il importerait à l’histoire de résoudre que celle de savoir si Malagrida et les jésuites avaient trempé dans l’attentat du 3 septembre. M. Gomès, qui l’a traitée trop succinctement dans son livre, résume son opinion en ces termes : « Tandis que les présomptions abondent contre ces prêtres, il n’existe aucune