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renvoyées dans une embarcation, et le navire continua sa route. Il avait à bord 90 hommes d’équipage, y compris 40 matelots qui vinrent rejoindre en bateau deux jours après. Dès que la nouvelle de ce départ imprévu fut connue à Londres, on fit parvenir par le télégraphe dans tous les ports de la côte l’ordre d’arrêter le navire ; on expédia le même ordre aux gouverneurs des colonies, et en particulier à celui des Bermudes, où l’on supposait que les fugitifs chercheraient un refuge.

La canonnière sortait de la Mersey sans emporter un canon, ni même un fusil. Elle se dirigea vers les Açores. Arrivée en vue de Terceira, elle fut rejointe par deux navires venant l’un de Londres, l’autre de Liverpool, qui lui apportaient son armement, des uniformes pour l’équipage, un approvisionnement de houille et, ce qui avait encore plus d’importance, un commandant et des officiers. Ce commandant était le capitaine Semmes, qui avait, comme on sait, vendu le Sumter quelques mois auparavant. Le transbordement eut lieu à une certaine distance du littoral, mais non pas en dehors des eaux portugaises. Quand ce fut fini, l’équipage entier fut appelé sur le pont, le pavillon confédéré fut hissé en haut du mât, puis le capitaine Semmes annonça aux matelots qu’il allait courir sus aux navires américains, les brûler et les détruire, que ceux qui l’accompagneraient recevraient de grosses parts de prises, qu’il n’y avait au surplus que quatre ou cinq vaisseaux du nord dont on avait à craindre la rencontre, qu’enfin il s’agissait de se battre, et que ceux à qui cela ne convenait pas avaient la liberté de retourner en Angleterre. 48 matelots refusèrent de prendre du service ; on ne pouvait les contraindre à rester, car leur engagement portait qu’on irait à Nassau ou dans un port intermédiaire. C’eût été une contravention au foreign enlistment act que de recruter en Angleterre des matelots pour le service d’un bâtiment confédéré. Le capitaine Semmes s’éloigna des Açores avec 80 hommes d’équipage. Son navire avait enfin été baptisé, il s’appelait l’Alabama, nom qui devait acquérir une redoutable célébrité.

Un peu avant que ce fameux Alabama ne quittât subrepticement la Mersey, M. Adams avait signalé au gouvernement anglais un autre bateau à vapeur, l’Oreto, alors en construction, et qui semblait être fait sur commande des agens du sud. Les officiers de la douane que l’on chargea de faire une enquête à ce sujet reçurent l’assurance que ce bâtiment était construit pour le compte de négocians anglais établis à Palerme. Aucun indice ne dénotait que cette déclaration fût fausse ; on le laissa donc partir de Liverpool avec 50 hommes d’équipage, sans avoir à bord autre chose que les vivres ordinaires pour la campagne annoncée. Au lieu d’aller dans