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même tirées par les chevaux des vivres. Aujourd’hui nous en avons 50 ébranlées ; mais les chevaux en sont si ruinés par les fatigues de l’hiver et les mauvaises nourritures, qu’il est arrivé déjà deux fois qu’elles sont demeurées à moitié chemin des journées qu’elles devaient faire. Il manque 758 chevaux dont je n’ai aucune nouvelle. Je suis sans pontons, et je n’ai pas, à beaucoup près, le nombre des charrettes nécessaires.

« Votre majesté jugera mieux que personne du péril avec lequel on soutient une attaque de poste quand on est privé de tous ces secours ; elle sait mieux que moi s’il sera au pouvoir du prince Eugène, arrivé sur ces frontières, d’engager une action et de se servir des troupes anglaises. Toutes les troupes des ennemis sont présentement rassemblées entre l’abbaye d’Anchin et Douai… La raison de guerre voudrait que toutes les troupes de votre majesté fussent pareillement ensemble, du moins entre Cambrai et Arras. Ce serait cependant tenir neuf lieues de pays lorsque l’ennemi est en bataille ; mais, comme nous sommes couverts d’assez bons postes, il n’y aurait pas de péril à se tenir dans cette étendue de pays, et c’est ce qui n’est pas même en mon pouvoir, puisque les subsistances me manqueraient bientôt. Tout ce que je puis faire, c’est de faire venir la cavalerie de Doullens entre cette ville et Arras, tirant ses fourrages de Doullens, — de faire venir le camp qui est sous Landrecies, à moitié chemin de Cambrai, tirant toujours de Landrecies, — de mettre la maison de votre majesté au Catelet, tirant toujours de Saint-Quentin, les autres corps tirant de Péronne, Bapaume, Bray et Corbie, et l’infanterie en première ligne.

« Votre majesté ne laissera pas d’être inquiète d’une telle situation quand elle saura son ennemi assemblé ; mais ma disposition est forcée, puisque je serais épuisé de fourrages en six jours, si j’en prenais une autre. Je prends bien toutes les précautions imaginables pour n’être pas surpris par des partis toutes les nuits ; les signaux, des courriers toujours prêts… Si une action générale dépend du prince Eugène, les apparences sont que nous l’aurons…

« J’espère pouvoir gagner le premier poste qui est le meilleur ; mais je nomme l’autre en cas que, par une marche forcée, les ennemis puissent arriver en force devant moi, sur Montenescourt. Si cette action est possible, votre majesté en connaît mieux que personne les conséquences. Qu’elle ait la bonté de jeter les yeux sur l’ordre de bataille et d’examiner si le jour d’un engagement elle ne trouverait pas que MM. les maréchaux d’Harcourt et de Berwick, qui sont présentement inutiles auprès d’elle, puissent être utilement placés dans quatre lieues de pays que tient votre armée. Pour moi, sire, je suis comme les médecins qui, sans se méfier d’eux-mêmes dans les maladies dangereuses, désirent cependant du secours. S’il y a une action, elle sera très importante. Je ne veux pas tromper votre majesté, et il est de ma fidélité de lui exprimer mes besoins… J’apprends dans ce moment que les pontons des ennemis