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arrivent sur le Moulinet. Le duc d’Ormond est arrivé le 24 à Rotterdam, et un homme… de confiance m’assure que le prince Eugène est depuis deux jours à Douai. Toute l’artillerie de campagne des ennemis est sortie hier de Tournai. On la dit de 150 pièces avec 40 pontons. Voilà les avis que je reçois au moment que je ferme cette dépêche. »


Le roi connaissait trop bien les dispositions des esprits pour faire grand fond sur les espérances de paix, et il le mandait au maréchal le 30 avril même. Il craignait plus, il craignait que les préliminaires ne fussent une raison pour le prince Eugène d’engager une action décisive, et il ne se trompait pas, Il approuva les mesures prises par Villars, et lui conseilla de se tenir en garde contre les surprises de l’ennemi. En effet, il parut bientôt évident au maréchal que le prince Eugène voulait frapper le grand coup, et s’attaquer de nouveau à la trouée de l’Oise, devenue moins difficile à aborder par des opérations secondaires habilement conduites, et dont l’accès lui semblait praticable, à la faveur d’une marche audacieuse, par un chemin nouveau qu’il avait dessein de s’ouvrir sur le plateau situé entre l’Escaut et la Sambre. Poursuivant cette pensée, Eugène emporta, le 4 juillet 1712, Le Quesnoy, situé entre l’Escaut et la Sambre. La prise de cette dernière place, mal défendue par l’officier auquel elle était confiée, porta la terreur dans Versailles. Ce fut bien pis lorsque Eugène eut investi Landrecies, sur la Sambre. De là aux sources de l’Oise, l’ennemi n’avait qu’un pas à franchir, et sur le cours de l’Oise aucune place ne pouvait à cette époque arrêter une armée qui s’avançait résolument sur Paris. L’entreprise d’Eugène n’avait même aucun caractère de témérité, car, s’il laissait derrière lui Cambrai, Valenciennes, Condé, Maubeuge et quelques autres places entre Sambre et Meuse, par compensation il tenait Mons en tête de la vallée de l’Oise, et en cas de revers ou de temps d’arrêt le pays entre la Lys et l’Escaut dont il avait pris les places assurait sa retraite. Aussi était-il plein de joie et d’espérance ; ses manœuvres embarrassaient même le cabinet des tories ; les Anglais semblaient hésiter et multipliaient les difficultés à Utrecht ; les coureurs des Autrichiens s’avançaient jusqu’à Soissons. Les whigs étaient redevenus menaçans et violens ; les tories n’eussent osé signer la paix après un grand succès du prince Eugène, et la santé de la reine Anne leur donnait d’ailleurs de vives inquiétudes. Ils étaient condamnés à tomber du pouvoir avec elle, et on ne saurait douter que, si la reine Anne fût morte en 1712, les whigs et Marlborough n’eussent reconquis la direction des affaires, comme ils le firent plus tard, et ne se fussent alors acharnés avec Heinsius et le prince Eugène à la destruction de la monarchie de Louis XIV. La France depuis deux siècles n’avait donc jamais été dans un plus