Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/499

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand danger. Les courtisans de Louis XIV lui conseillaient derechef de se retirer sur la Loire. Empêcher à tout prix la prise de Landrecies et livrer, s’il le fallait, la dernière bataille de la monarchie, tels furent les ordres précis donnés au maréchal de Villars.

Louis XIV avait alors, à la tête de son cabinet militaire, un officier supérieur du plus rare mérite, modeste autant qu’habile, comme l’avaient été ses deux maîtres, Turenne et Vauban, et dont le nom, malgré les grands services qu’il a rendus, n’est plus aujourd’hui connu que de quelques militaires instruits. C’était M. de Chamlay, à qui le roi avait voulu donner la place de Louvois, et qui l’avait refusée. Je laisse parler Saint-Simon sur ce personnage : « Chamlay, dit-il, était un fort gros homme, blond et court, l’air grossier et paysan, même rustre, et l’était de naissance, avec de l’esprit, de la politesse, un grand et respectueux savoir-vivre avec tout le monde, bon, doux, affable, obligeant, désintéressé, avec un grand sens et un talent unique à connaître les pays, et n’oublier jamais la position des moindres lieux, ni le cours et la nature du plus petit ruisseau. Il avait longtemps servi de maréchal des logis des armées, où il fut toujours estimé des généraux et fort aimé de tout le monde. Un grand éloge pour lui, c’est que M. de Turenne ne put et ne voulut jamais s’en passer jusqu’à sa mort, et que, malgré tout l’attachement qu’il conserva pour sa mémoire, M. de Louvois le mit dans toute sa confiance. M. de Turenne, qui l’avait fort vanté au roi, l’en avait fait connaître. Il était déjà entré dans les secrets militaires ; M. de Louvois ne lui cacha rien ; il y trouva un grand soulagement… Cette capacité, jointe à sa probité et à la facilité de son travail, de ses expédiens, de ses ressources, le mirent de tout avec le roi, qui l’employa même en des négociations secrètes et en des voyages inconnus. Il lui fit du bien et lui donna la grand’croix de Saint-Louis. Sa modestie ne se démentit jamais, jusque-là qu’il fut surpris et honteux de l’applaudissement que reçut la belle action qu’il venait de faire (en refusant l’héritage de Louvois), action que le roi ne cacha pas, et que Barbezieux, à qui elle valut sa charge, prit le plaisir de publier. »

Dans la cruelle extrémité où Louis XIV était réduit, M. de Chamlay soutint les résolutions et le courage du monarque, et fut chargé de la correspondance militaire avec le maréchal de Villars, dont la prodigieuse activité trouvait le temps de courir la campagne tous les jours, d’étudier chaque buisson, chaque pli de terrain, chaque ruisseau, de se montrer partout au soldat, et d’écrire au roi des rapports quotidiens qui, à vingt-quatre heures de distance, mettaient le prince en collaboration constante avec son général en chef, et le tenaient au courant des opérations militaires. Mille rapports