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années (de 1852 à 1866), le Crédit foncier a prêté 208,137,864 francs garantis hypothécairement sur des immeubles situés dans les départemens ; mais sur cette somme les fonds de terre ne garantissent que 141,242,530 francs ; le reste a été prêté dans les grandes villes aux entrepreneurs de bâtimens. Il s’en faut que les prêts sur fonds de terre aient en totalité servi à favoriser les améliorations agricoles. En général, ils ont été consentis en faveur de propriétaires obérés, pour rembourser des créanciers devenus trop pressans. En changeant de créanciers, les débiteurs ont voulu se procurer du répit, grâce à l’inexigibilité du capital. Quant à la compagnie du Crédit agricole, elle n’a que rarement traité avec les fermiers, tant à Paris que dans les succursales de province. Elle a opéré comme une banque ordinaire, et c’est surtout dans les villes où manquaient les établissemens de crédit commercial qu’elle a établi des succursales et choisi des correspondans.

Est-ce par mauvais vouloir que le Crédit foncier et le Crédit agricole se sont détournés de l’agriculture ? Ces compagnies ont-elles agi avec le parti-pris de ne pas remplir leur programme ? Nous ne le croyons pas pour deux raisons : d’abord, lorsqu’un établissement financier trouve à réaliser des bénéfices, il regarde si l’affaire est productive et non si elle est commerciale ou civile. D’autre part le gouvernement, qui s’était réservé des moyens d’action sur ces sociétés, n’aurait pas permis qu’elles s’éloignassent de la pensée économique, politique même, qui avait présidé à la fondation de ces établissemens. Ce qui prouve que ceux-ci n’ont pas manqué à l’agriculture, c’est que ni les propriétaires, ni les fermiers n’ont profité, sauf quelques exceptions, des sommes mises à leur disposition pour le drainage. Suivant l’exemple que l’Angleterre avait donné en 1845 en offrant de prêter jusqu’à 100 millions aux propriétaires ou fermiers qui voudraient drainer, le gouvernement français a obtenu du corps législatif pareille somme pour le même objet. Eh bien ! tandis que le crédit fut entièrement absorbé eh Angleterre, surtout en Écosse, chez nous la plus grande partie des 100 millions n’a pas pu être employée conformément à la destination légale. C’est donc l’agriculture qui manque au crédit, et non le crédit à l’agriculture, et les réclamans se sont trompés sur la cause des souffrances de la campagne. Au reste, des erreurs de toute sorte ont été commises par les déposans de l’enquête agricole.

Les notions sont tellement confuses sur cette matière, que plusieurs déposans ont signalé comme un danger sérieux les facilités qui rendraient le crédit accessible aux agriculteurs. Loin de trouver que le crédit agricole n’est pas assez large, ceux-là voudraient qu’on le restreignît. Ils confondaient évidemment le crédit et