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l’éducation des enfans, des soins pour les malades, des ressources pour les mutilés et les vieillards ? Que de victimes déjà la misère et la faim n’ont-elles pas dû faire au milieu d’une population dont la vie est attachée tout entière à la destinée des manufactures ! On n’ose arrêter sa pensée sur ce que l’avenir nous (réserve de douloureuses révélations. Tous les hommes qui ont pu obtenir un fusil s’en servent sur la montagne ; mais que deviennent pendant ce temps les femmes et les enfans que ces hommes faisaient vivre ?


II

Si les troupes allemandes respectaient le territoire du Haut-Rhin, ce n’est pas qu’elles n’y fussent attirées par la richesse du sol, par le riant aspect de ces nombreux villages qui couvrent la vallée, et où elles savaient qu’un riche butin les attendait encore. Soumises à une discipline rigoureuse, elles obéissaient à la pensée stratégique qui les concentrait autour de Strasbourg. Là en effet, sur ce point unique, se portait tout l’effort de l’ennemi. Entrés en France, comme M. de Bismarck en convient, avec la pensée secrète de conquérir l’Alsace et de la garder par droit de conquête, les Allemands devaient s’acharner à la prise d’une ville qu’ils appellent eux-mêmes la clé de la maison. Tant qu’ils n’occupaient pas Strasbourg, ils ne tenaient point l’Alsace. Il leur importait donc de s’emparer avant tout de cette place forte. Il fallait de plus que les opérations du siège fussent conduites avec une extrême vigueur, et que le résultat désiré fût obtenu rapidement. La Prusse n’aime point les guerres longues, qui enlèvent à l’agriculture, à l’industrie, aux professions libérales, tous les hommes valides, et suspendent la vie dans le pays tout entier. Elle déploie tout de suite des forces écrasantes, elle frappe des coups terribles, avec l’espoir de forcer sur-le-champ ses adversaires à la paix et de ramener dans leurs foyers les milliers d’hommes qu’elle arrache à la vie pacifique pour les précipiter sur les champs de bataille. Il fut donc prescrit aux généraux qui assiégeaient Strasbourg de se hâter, de ne rien épargner pour une victoire rapide. On excitait en même temps leur émulation par la nouvelle des succès qu’obtenaient les autres armées, par l’annonce prochaine d’une paix victorieuse dont ils tenaient entre leurs mains la principale garantie. De là sans doute l’acharnement avec lequel le siège fut poursuivie Aucune considération d’humanité, aucun souci de ce que les arts et les lettres perdraient à la ruine de Strasbourg n’arrêta les assiégeans. Ils conduisirent le siège comme une simple opération de guerre, comme s’ils n’avaient