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civilisées ; mais le général de Werder ne pensait sans doute ni à ce que réclame l’opinion publique ni à ce qu’exige l’humanité. Il obéissait à une consigne et l’exécutait rigoureusement. On lui avait ordonné de prendre la place, il voulait la prendre et ne se préoccupait que d’attendre ce but. Tout ce qui favorisait les opérations du siège lui était bon, tout ce qui les contrariait devait disparaître. Il vint un jour où les blessés eux-mêmes lui parurent un obstacle, ou du moins il craignit pour le secret de ses travaux le voisinage d’un bomme que la croix rouge de la convention de Genève aurait dû protéger. Depuis l’investissement de Strasbourg, M. de Bussierre, député du Bas-Rhin, membre de la société de secours aux blessés, continuait à soigner les victimes des derniers combats dans l’ambulance de la Robertsau établie tout près de la ville aux frais de la société et aux siens. Sans avertissement préalable, M. de Bussierre, qui, en sa qualité d’administrateur d’une ambulance, se croyait couvert par le texte formel de la convention de Genève, fut arrêté au milieu de ses blessés, conduit à Rastadt et traité en prisonnier de guerre. Quelques jours après, les obus des assiégeans mettaient le feu à la Robertsau même, cette promenade favorite des habitans de Strasbourg, comme si ce n’était pas assez des ruines inévitables que fait la guerre sans y ajouter la destruction volontaire et inutile de tant de rians jardins, de si beaux arbres et de si aimables résidences. Toutes les joies de Strasbourg, la verte parure de sa campagne, les frais ombrages qui égaient la sombre physionomie des places fortes, lui étaient retirés par la volonté de l’ennemi, comme pour ne laisser aux habitans aucun motif de consolation, aucun adoucissement aux horreurs du siège. Une seule fois cependant le général de Werder parut céder à un sentiment d’humanité. Ce fut le jour où M. Charles Doll, habitant de Mulhouse, ancien consul de Bade, de Bavière et de Wurtemberg, obtint de lui l’accès de la ville pour le pasteur Schillinger, qui rapportait de Paris quatre caisses de médicamens à l’usage des blessés et pour les médecins de Strasbourg qui étaient restés dans les ambulances d’Haguenau depuis les batailles de Wissembourg et de Wœrth. Il semble aussi qu’avant et même pendant le bombardement les ennemis aient accordé à quelques personnes privilégiées la permission de quitter la place, ou tout au moins fermé les yeux sur leur passage à travers les lignes des assiégeans ; mais ce n’étaient là que des exceptions très rares, toutes personnelles, toujours subordonnées aux intérêts de l’attaque, et qui s’expliquent par l’influence de relations antérieures et amicales avec le général de Werder plutôt que par le désir d’épargner à quelques assiégés les souffrances du siège. Le commandant des troupes ennemies ne nous a laissé à cet égard aucune illusion. D’après son propre