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première du plan de fortifications qu’un gouvernement bien inspiré devait exécuter après plus d’un siècle, et à ce titre nous n’hésitons pas à mettre sous les yeux du lecteur la plus grande partie de ce projet si digne en tout temps, mais surtout en ce moment, de fixer l’attention. Rien d’ailleurs de plus propre à fortifier nos courages, rien de plus propre à nous inspirer la pleine confiance dont nous avons besoin dans ces heures d’épreuves que la parole d’un tel homme nous affirmant que Paris fortifié comme il doit l’être, comme il l’est, c’est Paris imprenable, et que Paris imprenable, c’est la France sauvée.


« Paris, dit le maréchal de Vauban, c’est le vrai cœur du royaume, la mère commune des Français et l’abrégé de la France, par qui tous les peuples de ce grand état subsistent, et de qui le royaume ne saurait se passer sans déchoir considérablement de sa grandeur… Comme elle est fort riche, son peuple encore plus nombreux, naturellement bon et affectionné à ses rois, il est à présumer que, tant qu’elle subsistera dans la splendeur où elle est, il n’arrivera rien de si fâcheux au royaume dont il ne se puisse relever par les puissans secours qu’elle peut lui donner : considération très juste et qui fait que l’on ne peut trop avoir d’égards pour elle, ni trop prendre de précautions pour la conserver, d’autant plus que si l’ennemi avait forcé nos frontières, battu et dissipé nos armées, et enfin pénétré le dedans du royaume, ce qui est très difficile, je l’avoue, mais non pas impossible, il ne faut pas douter qu’il ne fît tous les efforts pour se rendre maître de cette capitale, ou du moins la ruiner de fond en comble, ce qui serait peut-être moins difficile présentement (que partie de sa clôture est rompue et ses fossés comblés) qu’il n’a jamais été, joint à l’usage des bombes, qui s’est rendu si familier et si terrible dans ces derniers temps, que l’on peut le considérer comme un moyen très sûr pour la réduire à tout ce que l’ennemi voudra avec une armée assez médiocre, toutes les fois qu’il ne sera question que de se mettre à portée de la bombarder. Or il est très visible que ce malheur serait un des plus grands qui pût jamais arriver à ce royaume, et que, quelque chose que l’on pût faire pour le rétablir, il ne s’en relèverait de longtemps et peut-être jamais. C’est pourquoi il serait, à mon avis, de la prudence du roi d’y pourvoir de bonne heure et de prendre les précautions qui pourraient la mettre à couvert d’une si épouvantable chute. J’avoue que le zèle de la patrie et la forte inclination que j’ai elle toute ma vie pour le service du roi et le bien de l’état m’y ont fait souvent songer ; mais il ne m’a point paru de jour propre à faire de pareilles ouvertures par le grand nombre d’ouvrages plus pressés qui ont occupé le roi, tant sur la frontière, qui a toujours remué depuis vingt-deux ans en çà, que par les bâtimens royaux qu’il a fait faire et par le peu de dispositions où il m’a paru que l’esprit de son conseil était pour une