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et quand viendrait le jour de rentrer en campagne, nous pourrions le faire avec pleine confiance.

D’ailleurs, tout ce qui se passé sous nos yeux depuis bientôt un mois et demi doit avoir ranimé cette confiance même dans les cœurs que nos premiers revers avaient le plus troublés. Lorsqu’un jour on écrira l’histoire du siège de Paris en 1870, on sera étonné de voir ce que les Parisiens ont su faire en si peu de temps. Nous étions dans le néant et dans le chaos ; il n’y avait plus de gouvernement, plus d’armée, presque plus de matériel de guerre ; sauf l’armée du maréchal Bazaine, il ne nous restait plus dans les régimens et dans les bataillons de la garde mobile que des dépôts de recrues ou des rassemblemens de jeunes gens qui pour la plupart n’avaient jamais tiré un coup de fusil. Voilà cependant qu’en si peu de temps, sans compter ce qui s’est fait dans les provinces, on a réuni à Paris un armement qui dépasse tous les besoins du siège, mis en batterie sur nos remparts deux mille pièces de canon, construit de nouveaux ouvrages, tant dans la plaine de Gennevilliers qu’à Villejuif, perfectionné toutes les anciennes défenses, qui sont aujourd’hui dans un état d’entretien presque voisin de la coquetterie ; enfin on a reformé, équipé, habillé, instruit dans la capitale une armée de 200,000 hommes, qui sont dès aujourd’hui presque capables d’entrer en campagne. On aura peine à croire que tout cela ait pu être fait en six semaines.

Aussi est-ce avec un certain regret que nous voyons des esprits, plus ardens que sages, se lancer dans une polémique dont l’objet serait de persuader que tout ce que nous possédons en fait d’armement est inférieur à ce que possèdent les Prussiens, sinon même tout à fait mauvais. Entraîné par la passion qui emporte tous les hommes à projets, on déprécie nos armes outre mesure pour leur substituer des inventions dont les meilleures sont presque toujours conçues en dehors des nécessités militaires. En temps de paix, nous ne demanderions pas mieux que de voir expérimenter toutes ces découvertes nouvelles ; on y trouverait peut-être des données ou des principes justes qu’avec un peu d’étude on pourrait faire passer dans la pratique, et le pire serait de dépenser quelquefois de l’argent pour ne pas obtenir de résultats. Dans les circonstances, il faut craindre de dépenser en expériences douteuses un argent devenu trop précieux. D’ailleurs les critiques amères que l’on fait de nos armes sont injustes, et la vérité, c’est que, dans les comparaisons que nous avons pu faire avec celles des Prussiens, l’avantage est très certainement de notre côté. L’immense supériorité du fusil français sur le fusil Dreyse, qui était contestée au début des hostilités, est reconnue aujourd’hui par les Prussiens eux-mêmes et par les officiers ou correspondans des journaux anglais qui font campagne avec eux. La portée, la justesse du fusil français, la tension de la trajectoire qui assure l’efficacité du tir, la légèreté, la facilité et la rapidité de la