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manœuvre, sont des qualités qu’il possède au degré le plus éminent. C’est la meilleure arme de ce genre qui soit dans les mains d’aucune troupe, et les officiers, qui généralement ne le connaissent pas assez, feront bien de l’étudier pour en enseigner les mérites à leurs soldats. Quant aux mitrailleuses, que les Prussiens affectaient d’abord de dédaigner et qui même chez nous ne trouvaient pas grande faveur, elles sont aujourd’hui fort en crédit, depuis que l’on sait s’en servir. Elles ont si bien fait leurs preuves, que l’ennemi en construit, dit-on, sur notre modèle. Ce n’est pas que la machine prussienne ne soit pas aussi ingénieusement et peut-être plus correctement construite que la nôtre, mais au point de vue militaire elle n’est pas aussi bien conçue. N’étant considérée que comme un engin destiné à fonctionner avec l’infanterie, on ne lui a donné qu’une portée à peine plus longue que celle du fusil, et, pour la rendre aussi légère que les troupes auxquelles on l’associait, on l’a réduite autant qu’il a été possible. Tout autrement chez nous, la mitrailleuse a été considérée non comme une arme qui serait affectée à un corps de troupes particulier, mais comme une arme en quelque sorte indépendante, qui tiendrait le milieu entre le fusil et le canon. Aussi avec une justesse de tir très remarquable lui a-t-on donné, sous une trajectoire très tendue, une portée de 2,000 mètres et un gros poids de balle. De là une puissance et une efficacité remarquables. Quant à notre canon de campagne, c’est toujours celui de 1859, car tout ce qui a été fait depuis ne nous a pas donné lieu de croire qu’il ne vaille pas celui d’aucune autre armée. On l’a vu à l’œuvre dans la bataille du lundi 19 septembre, à la redoute de Châtillon, et les résultats qu’il a fournis parleraient au contraire grandement à son avantage. Là, une batterie de huit pièces (il est vrai que c’étaient des pièces de 12 et qu’elles étaient commandées par un officier des plus distingués) a tenu tête pendant plusieurs heures à des masses d’artillerie prussienne, cinquante ou soixante pièces peut-être ; elle leur a si bien tenu tête, qu’à deux reprises elle a éteint leur feu, et que jusque vers les quatre heures du soir elle a contenu en même temps dans les bois un très gros corps de troupes prussiennes qui, comme nous l’avons appris plus tard, a fait des pertes beaucoup plus considérables qu’on ne supposait. Deux cents et quelques coups de canon tirés par cette batterie ont suffi ce jour-là pour prouver aux plus incrédules la supériorité de notre artillerie de campagne.

A quoi tient cette supériorité ? A plusieurs causes sans doute, mais surtout à ce que la plupart de nos obus éclataient, tandis que le plus grand nombre de ceux des Prussiens ne s’allumaient pas, ou ne s’allumaient que dans la proportion d’un sur cinq. Notre canon à chargement par la bouche, et c’est une des plus grandes raisons qui ont fait tenir au système, a cet avantage, que le projectile, prenant son point de départ au milieu d’un bain de flammes, allume de lui-même sa fusée, et que cette