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nement général, » et de ne s’être point chargé de nourrir la population parisienne « révolutionnairement. » Il a eu le bon sens d’écouter de préférence les avis de la partie éclairée de la population et de se souvenir des funestes leçons de la première révolution. C’est grâce à cette sage modération dans l’emploi des mesures d’exception en matière de subsistances, à cette abstention des moyens révolutionnaires préconisés dans les clubs, que nous avons pu arriver au quatrième mois du blocus. La population a dû s’imposer sans doute des privations pénibles, et, depuis que les rigueurs d’un hiver précoce se sont ajoutées à tant d’autres maux, elle a enduré des souffrances cruelles ; mais enfin elle a pu vivre ! Nous ignorons à quelles épreuves elle est réservée encore, et combien de temps elle sera en état de prolonger sa résistance contre l’ennemi commun ; les munitions de bouche d’une ville hermétiquement bloquée ne sont pas, hélas ! inépuisables, surtout quand c’est une ville qui contient deux millions de bouches. Cependant toutes les prévisions et tous les calculs qui ont été faits au sujet de la durée possible de l’approvisionnement ont été dépassés, ne l’oublions pas, et ils pourraient bien l’être encore, grâce à ce capital de ressources de toute sorte qui viennent se concentrer dans un immense foyer d’activité, de commerce et d’industrie tel que Paris. Hier on découvrait des tonneaux de morue sèche oubliés depuis vingt ans, puis c’était du riz dont on avait sans le savoir un approvisionnement énorme ; c’était encore de l’avoine entassée dans les greniers de la compagnie des omnibus, et dont on va faire du pain. Les Écossais n’en font-ils pas des gâteaux ? Enfin la population parisienne a trompé toutes les espérances que l’Allemagne avait pu fonder sur sa mollesse et son esprit d’indiscipline ; des femmes délicates se sont privées pendant de longs mois de beurre, d’œufs et de lait ; elles se sont accoutumées à manger de la viande de cheval, elles ont fait queue pendant de longues heures sous la pluie, la neige ou le brouillard, pour se procurer la maigre ration du jour. On a payé sans sourciller un poulet 30 francs et une pomme de terre 25 centimes. On a crié sans doute contre les accapareurs, et des « comités de vigilance » sans mandat se sont mis en quête des jambons et des fromages « cachés ; » mais il n’y a pas eu d’émeutes provoquées par la faim, et l’on n’a encore accroché personne aux lanternes. Cette population parisienne que l’on disait amollie, corrompue, a supporté avec une constance inébranlable les dures épreuves d’un siège ; elle s’est résignée, assouplie avec une facilité et une bonne grâce singulières aux privations les plus pénibles, et, quoi qu’il arrive, elle aura mérité l’estime, sinon l’admiration du monde.

G. de Molinari.