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d’ordre donné à une armée au xixe siècle ! — Allons, braves mères d’Allemagne, mères de la Souabe, de la Thuringe ou de la Bavière, tâchez de vous réjouir, si vous le pouvez. Il est vrai, cette année vous avez fait Noël toutes seules, sans vos enfans ; bon nombre d’entre eux sont couchés pour jamais sous la neige et le givre autour de Paris, beaucoup sont destinés à trouver le même sort avant qu’on ait terminé cette horrible lutte. Vous ne les reverrez pas plus à la Noël prochaine que vous ne les avez vus à la Noël qui vient de passer ; mais tâchez de vous consoler, l’armée allemande vous enverra les fruits opimes de ses victoires, des pendules ou des robes de soie. Et puis il faut la guerre à ceux qui disposent de vos enfans. M. de Bismarck est libre à cette condition de poursuivre ses plans de conquête, M. de Moltke peut déployer ses talens de tacticien, le prince Frédéric-Charles peut faire ses pointes audacieuses et ses mouvemens tournans, contre lesquels on commence à s’aguerrir. Le roi Guillaume enfin a besoin de la guerre, il lui faudrait bien Paris pour mettre sur sa tête le bonnet d’empereur ; en échange, il coiffera du casque prussien l’Allemagne de Goethe et de Schiller, de Kant et Schelling. Il fera l’unité allemande par la caserne : digne prix de tant de sang allemand versé dans cette guerre qu’on poursuit à outrance pour la gloire d’un âpre et implacable orgueil !

Après cela, s’il est vrai qu’en toute chose on doive considérer la fin, nous ne sommes point certainement au bout. Tout n’est pas fini, et le roi Guillaume lui-même, dans une récente proclamation à ses soldats, est obligé d’avouer que « la guerre entre dans une phase nouvelle ; » il a des étonnement presque naïfs de ce qu’il appelle l’effort extraordinaire fait par les Français, de l’empressement des habitans à courir aux armes ; il trouve que, malgré tous les prisonniers qu’on fait, « il reste encore beaucoup de mobiles. » Naturellement le souverain prussien assure toujours à ses soldats qu’ils vaincront, qu’ils triompheront par la valeur et la discipline du nombre des Français, qu’ils conquerront une paix glorieuse proportionnée aux sacrifices de l’Allemagne, Ce qui est certain, c’est que cette proclamation n’a plus tout à fait l’accent d’une confiance sans mélange, que le roi Guillaume ne peut promettre à ses soldats que des luttes prolongées, qu’il ne se trompe pas quand il dit que la guerre est entrée dans une phase nouvelle, et que l’armée allemande n’a pas encore conquis cette paix qu’on lui laisse entrevoir. Sans doute il y a une triste et bien cruelle réalité dont nous sentons le poids ; l’étranger foule notre sol ; l’invasion, puissante encore de cette force d’impulsion qu’elle a eue dès l’origine, s’est répandue dans plus d’un tiers de la France. Tout n’était malheureusement pas faux dans les nouvelles que nos ennemis nous transmettaient l’autre jour, quoique la vérité fût arrangée à la prussienne. Il est bien certain qu’il y a eu des combats autour d’Amiens, sans qu’on sache précisément à quelles