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forces françaises les Prussiens ont eu affaire. L’armée allemande a pu s’avancer jusqu’à Rouen, où elle est entrée ; elle a semblé menacer un moment Le Havre et Honfleur, elle a paru autour d’Évreux, elle s’est répandue dans cette contrée de l’ouest qui va de Versailles au Mans. D’un autre côté, vers l’est les Prussiens se sont avancés jusqu’à Dijon. L’armée du prince Frédéric-Charles, retrouvant à son tour sa liberté par la reddition de Metz dès les premiers jours de novembre, a pu s’élancer par la Champagne et pousser jusqu’à la Loire, accomplissant, avec le général de Thann demeuré devant Orléans, avec le grand-duc de Mecklembourg accouru de l’ouest par Châteaudun, une de ces savantes concentrations familières à l’état-major prussien, et dont l’objectif était cette fois de reprendre Orléans, d’envelopper nos forces de la Loire. L’armée du prince Frédéric-Charles a pu même, à ce qu’il paraît, s’avancer jusqu’à Blois et menacer Tours. Somme toute, cette immense armée de l’invasion dans ses développemens à l’est et à l’ouest semblerait former un vaste triangle irrégulier dont le sommet serait sur la Loire et au centre duquel serait Paris.

Assurément c’est une cruelle épreuve pour ces parties de la France foulées aux pieds par la soldatesque étrangère ; mais en fin de compte, avec ses opérations gigantesques et ses mouvemens tournans, l’armée allemande n’a rien fait de réellement décisif depuis deux mois. Qu’elle ait occupé Rouen ou qu’elle ait repris Orléans, à quoi cela la conduit-elle ? Là où elle a cru frapper de grands coups, elle a échoué, au moins en partie, où elle n’a pas atteint son but. Notre armée de la Loire a été obligée, il est vrai, de se scinder devant l’attaque furieuse dont elle a été l’objet devant Orléans : une portion s’est repliée sur Bourges et Nevers avec le général Bourbaki, l’autre partie, conduite par le général Chanzy, a gagné le Perche ; mais cette armée n’a cédé le terrain que pied à pied, après dix jours de combats où elle a montré la plus énergique fermeté, où elle a infligé à l’armée allemande les pertes les plus sérieuses. Quoique divisée, elle est restée intacte jusqu’à un certain point, et cette dislocation, fâcheuse peut-être au premier instant, n’a rien de précisément dangereux, si le général Chanzy a pu se fortifier de tous les contingent déjà organisés dans l’ouest, si le général Bourbaki de son côté a pu grossir ses corps des forces nouvelles qui s’avançaient de l’Auvergne. En définitive, le prince Frédéric-Charles a manqué cette fois son coup. L’armée de la Loire lui a vigoureusement tenu tête et lui a échappé ; quoique coupée en deux, elle existe toujours, prête sans doute à rentrer en campagne, présentant deux fronts d’attaque au lieu d’un. Le nerf de la défense n’est pas sérieusement atteint sur nos lignes du sud, et les Prussiens n’ont pas seulement à faire face de ce côté, si, comme on nous l’a dit, le général Faidherbe est dans le nord avec une armée qui peut se soutenir par ses propres forces en mena-