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çant les communications avec l’Allemagne, si le général Bressolles a une autre armée avec laquelle il peut marcher de Lyon vers les Vosges et l’Alsace, si Garibaldi lui-même, en manœuvrant avec ses volontaires, inquiète les troupes allemandes qui sont dans la direction de Dijon.

Reste Paris, la personnification souveraine et saisissante de la défense nationale, le point central autour duquel tout rayonne et converge. Quelle était la pensée primitive des Prussiens lorsqu’ils ont marché sur la capitale de la France ? Ils ne savaient peut-être pas bien eux-mêmes où ils allaient, et ce qu’ils feraient. Ce qui n’est point douteux, c’est qu’ils ne s’attendaient pas à ce qui leur est arrivé. Ils ne croyaient pas à cette inébranlable résistance qu’ils ont rencontrée. Tous les moyens sur lesquels ils comptaient leur ont échappé. Le bombardement, ils l’ont retardé de jour en jour, comme s’ils reculaient devant cette monstruosité de la destruction d’une des premières villes du monde, et en réalité peut-être tout simplement parce qu’ils n’étaient pas prêts. S’ils n’ont rien fait jusqu’ici, c’est que probablement ils ne pouvaient rien faire ; nous allons voir maintenant à quoi ils vont réussir en démasquant leurs batteries, et ce que signifient au juste ces violentes attaques auxquelles ils viennent de se décider. Le déchaînement des factions intérieures, c’était leur grande espérance, ils ne l’ont pas caché ; mais voilà que Paris s’est avisé d’avoir plus d’esprit que M. de Bismarck en n’écoutant que le bon sens et le patriotisme, en décourageant par son attitude tous les d’auteurs de désordres, en se cuirassant même contre les tentatives de démoralisation essayées par nos ennemis. Les mauvaises nouvelles venant des avant-postes prussiens n’ont plus aucun effet, fussent-elles signées de M. de Moltke. La famine, ah ! c’était là, en désespoir de cause, la terrible, l’inévitable complice sur laquelle ils comptaient, sur laquelle ils comptent encore. Il y a déjà bien des semaines qu’on répète en Allemagne que nous en avons tout au plus pour quelques jours, que nos dernières ressources sont épuisées. Paris, non sans souffrir, mais résolu à toutes les privations comme à tous les sacrifices, tient depuis plus de cent jours, et il tiendra encore assez pour que les chefs de notre défense puissent renouveler les actions meurtrières, pour que la France virile tout entière ait le temps de se trouver sous les armes. Or c’est là justement ce qu’on n’avait pas prévu, et il suffit de lire les lambeaux de lettres qu’on a trouvés sur les soldats allemands victimes des dernières affaires pour démêler l’impression qui existe dans l’armée ennemie, qui se fait jour jusqu’en Allemagne. C’est un mélange d’étonnement, de malaise et de lassitude, malaise causé par une situation sans issue, lassitude visible de la guerre, étonnement de cette résistance prolongée de Paris, de ces armées nouvelles qu’on rencontre, de cette insurrection nationale contre laquelle on se heurte.