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sions et les défiances, pour mettre en suspicion tout ce que font nos généraux. C’est pour le coup qu’on ferait les affaires de l’ennemi, et qu’on irait tout droit, par le plus court chemin, à quelque misérable catastrophe.

Population et gouvernement doivent au contraire se tenir serrés dans cette crise suprême ; c’est la condition première de tout ce qui est possible et justement de cette action incessante qu’on demande à nos chefs militaires. Il faut que cette défense garde jusqu’au bout son caractère pour garder son efficacité. L’ennemi peut frapper de ses obus nos forts et jusqu’à nos portes, il n’ébranlera point Paris de sitôt. Quoi qu’il arrive, Paris a fait ce que certainement il ne croyait pas faire, il a réduit la province à se suffire par elle-même, à ne compter que sur ses propres forces, sur ses propres directions, et la France s’est levée. Paris a donné à la province ce qu’il pouvait lui donner de plus précieux, du temps pour s’organiser ; la province doit maintenant à Paris un secours ou une vengeance. Oui, le roi Guillaume a raison, c’est une guerre nouvelle qui commence, et cette guerre peut durer assez pour mettre à de cruelles épreuves la constance des armées allemandes. Après cela, pendant que nous combattons ainsi, l’Europe peut tenir des conférences et faire de la diplomatie. On peut escompter des victoires qui ne sont rien moins qu’assurés ; on peut se partager le butin et s’adjuger un résultat qui est encore au bout de bien des épées étincelantes, toutes prêtes à se rougir de sang. La France saura bien ressaisir le rôle européen dont on prétend la dépouiller ; elle retrouvera son jour et son heure où il faudra bien compter avec elle, où l’on s’apercevra qu’il n’y a de paix possible et durable que celle qui commencera par respecter sa dignité, qu’elle a déjà reconquise, et son intégrité, qu’elle défendra jusqu’au bout.

Charles de Mazade.




CORRESPONDANCE.


au directeur de la REVUE DES DEUX MONDES.


 Mon cher monsieur.

J’ai vu déjà bien des années finir et de tristes années, mais je n’éprouvai jamais, à changer de calendrier, le soulagement étrange que je sens aujourd’hui. Être enfin délivré de ce chiffre néfaste : 1870 ; ne plus le voir, ne plus l’écrire à tout propos, c’est déjà presque un bien. S’est-il gravé dans nos mémoires en caractères assez sanglans ! Portera-t-il à nos arrière-neveux d’assez lugubres souvenirs ! Et quelle date assez sombre dans toute notre histoire pourra lui servir de pendant ? Je ne