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REVUE. — CHRONIQUE.

parle même pas d’incendies, de pillages, de dévastations, d’industries ravagées, de capitaux détruits, de ruines, de catastrophes : ces blessures matérielles, un jour peut-être, à force de labeur, elles se pourront guérir ; nos cœurs eux-mêmes, qui jamais n’auront autant saigné, le temps en adoucira les souffrances ; ces affections brisées, ces plaies de nos familles, n’infligeront de vivantes douleurs qu’à nos générations d’aujourd’hui, tandis qu’il est une blessure dont la profonde cicatrice ne s’effacera plus tant que vivra notre pays. Pensez à lui, à notre nom, à l’éternelle injure que lui ont faite ces revers inouïs, et vous devrez comprendre que je sois sans pitié pour ce millésime odieux. Eh bien ! faut-il l’avouer ? malgré toutes ces raisons d’écouter ma rancune, quand je mets en regard les maux qu’elle me rappelle, cette désastreuse année, et les biens qui, j’espère, découleront de ces maux, que dis-je ? ceux-là mêmes que nous goûtons déjà, j’hésite à la maudire, et j’entrevois un temps où du milieu de nos tristesses, tout compte fait, tout bien pesé, croyez-moi, nous la bénirons.

Et d’abord n’a-t-elle pas vu tomber l’empire ? Que de choses dans ce peu de mots ! Ce qu’était l’empire, le premier comme le second, et le second surtout, lui qui nous promettait repos, lucre, plaisirs en échange de notre virilité ; ce qu’il y avait dans ce grossier régime de poisons et de piéges pour un malheureux peuple qui par sa faute, hélas ! s’y était laissé prendre ; ce que ce peuple y contractait de lâches habitudes, de faiblesses d’esprit, de vices énervans et destructeurs, la France ne pouvait l’apprendre qu’à ses dépens, par une horrible crise. Il est des maladies qui, sous une apparence de trompeur embonpoint, vous rongent les viscères ou vous carient les os ; il leur faut d’héroïques remèdes ; sans ces tortures bienfaisantes, point de retour à la santé, La France en était là : encore quelques années de césarisme, de mollesse et de docilité, d’opium et d’hébétement, c’en était fait de son rôle en ce monde, c’était sa mort.

Et notez bien que l’empire est tombé comme il importait qu’il tombât pour n’avoir plus à tenter de renaître, non par hasard, par accident, par un coup de parti, surpris par des adversaires qui en le jetant bas n’auraient enlevé ni à lui tous ses partisans, ni au pays toutes ses illusions, ne renversant que l’homme sans ruiner le système : non, sa chute est venue de lui et de lui seul, du système aussi bien que de l’homme ; il est tombé dans les désastres provenant de sa propre faute de sa faute évidente et notoire, et de plus dans la honte et dans la lâcheté : autant de boue que de sang ! C’est donc une libération complète et définitive ; les intrigans auront beau faire, nous sommes quittes de l’empire ; un mur infranchissable se dresse désormais entre la France et lui. Eh bien ! convenez-en, l’année qui à cet honneur de porter à son compte une telle délivrance, si meurtrière et si fatale qu’elle soit d’ail-