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REVUE. — CHRONIQUE.

mar, non-seulement ils pouvaient nous l’offrir, mais que nous-mêmes nous l’avons demandée ! Je n’ai garde d’en faire reproche à ce serviteur du pays qui, n’écoutant que sa conscience, a pris sur lui ce voyage à Ferrières. Son inspiration était bonne, puisqu’il a contraint l’ennemi à confesser tout haut ses projets spoliateurs. La France avait besoin qu’on les lui révélât. Elle avait pris trop à la lettre les mielleuses paroles de son doux conquérant. Il lui fallait apprendre que ces batailles n’étaient pas un duel de souverains, qu’au fond c’était à elle qu’on déclarait la guerre, à elle, à sa grandeur, à sa prospérité, à ses aïeux, à ses enfans, à son passé comme à son avenir. Le colloque de Ferrières a fait tomber le masque, il a mis tout au grand jour. Nous devons donc rendre grâce à qui l’a provoqué, tout en reconnaissant que c’était jouer gros jeu. Pour ma part, je l’avoue, même aujourd’hui ce n’est pas sans émotion que je me représente quel risque nous avons couru, et combien l’occasion était belle de nous faire accepter un outrage que peut-être plus tard nous n’aurions pas lavé, même dans bien d’autres flots de sang que ceux qui pourront couler pour ne le pas subir.

Dieu a permis que ces barbares manquassent cette fois de perspicacité ; il ne leur a laissé que leurs grossiers instincts. Vaniteux et cupides, ils ont vu que la France n’avait plus d’armée, qu’elle avait encore ses richesses ; la convoitise les a pris, et l’esprit de rapine les a jetés sur elle ; puis aussi la vaine gloriole de trôner à Paris, ne fut-ce qu’un seul jour ! Voilà les beaux motifs, les nobles causes de cette invasion furieuse, de ces massacres, de ces égorgemens ! Voilà pourquoi depuis cinq mois notre France est à sac, et vous croyez qu’ils s’en excusent ? Quelle idée ! Il n’y a de coupables que nous. Leur thèse est admirable, « Laissez-nous faire, disent-ils, ne nous résistez pas, nous ne brûlerons rien, nous ne tuerons personne. C’est vous, paysans, vous, citadins, qui, avec votre humeur guerroyante, votre goût de la poudre et du bruit, égorgez, par nos mains, vos malheureux compatriotes, vos femmes, vos enfans. L’attentat à l’humanité, c’est vous qui le commettez ; le sang versé retombera sur vous. » Ne croyez pas que je plaisante, mon cher monsieur. Cette grotesque théorie, M. de Bismarck et son auguste maître ont pris la peine, plus de dix fois depuis la guerre, de l’exposer eux-mêmes doctement. Notre ténacité les révolte. Ils trouvent très mauvais que nous nous défendions. Ce qui leur semble contre nature, ce n’est pas de trahir sa patrie, de l’abandonner sans défense aux outrages de l’étranger, c’est de se battre pour elle sans mesure et sans discrétion. Le vrai devoir de tout peuple envahi, et surtout envahi par la Prusse, est de ne pousser la résistance que tout juste assez loin pour que le vainqueur ait droit de se proclamer tel, de choisir son moment pour quitter la partie, et de faire Charlemagne en se coiffant de lauriers. Quel sot orgueil est donc le nôtre ? Ne pas vouloir nous déclarer vain-