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de noblesse. Nous y perdons un argument à l’appui du mot dédaigneux et célèbre du duc de Saint-Simon sur le règne de Louis XIV « ce long règne de vile bourgeoisie ; » mais la vérité historique en est mieux respectée.

De bonne heure, Colbert avait pris plaisir à former sa précieuse bibliothèque ; on trouvera dans le volume de M. Clément les plus curieuses indications sur les moyens qu’il employait. Il y faisait travailler les intendans ; il avait des agens qui pénétraient dans les couvens et abbayes, et se faisaient donner, pour le ministre, volumes imprimés et manuscrits. Les chanoines de Metz lui envoyèrent la bible de Charles le Chauve, et treize autres manuscrits, dont un passait pour le livre d’heures de Charlemagne. Colbert chercha par quel présent il pourrait témoigner sa reconnaissance au chapitre de Metz, et ne trouva rien de mieux que d’envoyer un portrait du roi qui ne dut pas lui coûter bien cher, mais dont les chanoines se déclarèrent très satisfaits. — À vrai dire, c’est surtout par de telles réquisitions que se forma la riche bibliothèque colbertine.

Les chapitres où Colbert nous apparaît comme père de famille sont rédigés, dans le livre de M. Clément, d’après les lettres privées et présentent des détails très nouveaux. Il faut voir avec quel soin Seignelay est préparé aux affaires. Il ne s’agit pas seulement d’entendre l’administration intérieure, il faut avoir fait d’utiles voyages à l’étranger. Colbert pense visiblement qu’il peut destiner son fils à la surintendance des bâtimens, et alors le voyage d’Italie lui devient indispensable. Nous avons ici les instructions en vue de ce voyage, et on se rappelle que M. Clément a publié en un petit et agréable volume la relation rédigée par le fils conformément à ces instructions paternelles.

Colbert gouverne sa nombreuse famille comme il administre l’état, avec austérité et rudesse, mais avec une ferme ambition d’arriver au succès, avec une énergie plus d’une fois affectueuse qui sait se faire obéir en se faisant accepter. C’est en étudiant le détail de cette vie qu’on parvient à mesurer l’étendue de l’œuvre confiés à Colbert, œuvre immense en effet, puisqu’elle comprenait en même temps l’organisation générale du royaume, la création de sa marine et de ses colonies, la rénovation de son industrie, la révision des codes, la rectification des douanes intérieures, l’édification du Louvre et de Versailles, presque tout ce qui a fait enfin le prestige et la grandeur de la France pendant la période la plus brillante de ses annales.

Un travail aussi considérable et aussi heureusement conduit à bonne fin que l’a été le recueil des Lettres, instructions et mémoires de Colbert, fait le plus grand honneur à son auteur ; mais c’est seulement à une mémoire respectée que peuvent aller désormais nos éloges. M. Pierre Clément a été enlevé par la mort il y a quelques semaines, au moment