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L’ARTILLERIE DEPUIS LA GUERRE.

l’origine par des hommes que n’excitait point le seul et pur amour de la vérité, qui en tout cas n’avaient pas la conscience du mal qu’ils faisaient à leur pays en semant la méfiance jusque dans les derniers rangs des troupes, il est aujourd’hui complètement réhabilité, sans qu’on sache au juste la cause et l’occasion de ce revirement de l’opinion à son égard. L’explication de cette singularité serait facile, si le fusil Chassepot avait eu la vertu de nous assurer la victoire… Mais pourquoi, lâchant prise sur le chassepot, au sujet duquel on a pendant quatre ans injurié le comité de l’artillerie, les Parisiens se sont-ils rejetés sur le canon rayé, car ils ne connaissent pas plus celui-ci qu’ils ne connaissaient celui-là ? Ils ont entendu dire à des soldats en déroute que l’artillerie française n’était pas de force à se mesurer contre l’artillerie prussienne. Ne suffisait-il pas, pour apprécier la valeur de ces rumeurs, de se souvenir que les Français ont eu partout et toujours à lutter dans la proportion d’un contre trois sans accuser nos canons d’être mauvais ? Pense-t-on qu’il a été bon et utile pour la défense de Paris, pour raffermir le cœur de nos jeunes troupes, de répéter, comme on le fait depuis trois mois, même dans des documens d’origine officielle, que nos canons sont insuffisans, sont surannés ? Croit-on avoir bien travaillé pour la délivrance en proclamant dès le premier jour qu’il n’y a d’espérance de salut que dans le canon se chargeant par la culasse, alors que ce canon n’existait encore qu’à l’état de modèles ramenés de Meudon ? Qui oserait affirmer que cette fatale idée, répandue avec tant de verve et de succès, n’a pas fait hésiter les chefs de la défense et manquer de belles occasions de relever notre drapeau ? Les canons de 7 commencent enfin à paraître, mais voilà trois mois que nous les attendons, et depuis trois mois Paris s’est défendu sans eux avec les moyens qu’il avait, moyens qui ont paru assez respectables à l’armée prussienne pour que celle-ci, malgré ses canons Krupp, malgré ses victoires et ses prétentions à l’héroïsme, se soit tenue jusqu’ici à distance, se contentant de s’enfermer dans des lignes formidables, de nous lancer de là des obus perdus, et attendant patiemment que la famine nous fasse tomber les armes des mains.

On commence à s’inquiéter de la question du pain et de la viande, et personne ne semble songer à celle de la poudre et des projectiles, du pain et de la viande des bouches à feu. Personne ne se préoccupe de savoir comment on a pu faire pour amener dans Paris, après Sedan, tant de poudre et tant de boulets, et ce qu’il en reste après tant de vaines canonnades, de fusillades abusives. Personne ne se demande comment on s’y prendra pour nourrir et rassasier 300 nouvelles bouches à feu, dont l’estomac ne digère pas notre