Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
L’ARTILLERIE DEPUIS LA GUERRE.

de l’industrie privée, mais je n’appuierai point sur ces motifs parce qu’ils n’intéressent que l’état, et parce qu’ils entrent un peu trop dans le vif de la querelle qui est faite au corps de l’artillerie par quelques individualités remuantes de l’industrialisme. Je me contenterai de soulever discrètement un coin du voile.

Le contrôle sévère que le corps de l’artillerie exerce sur lui-même, sur ses agens secondaires et sur ses fournisseurs, est excessivement gênant. C’est pourquoi l’état fera bien de laisser la surveillance de ses dépenses pour le matériel de guerre à un corps dont les membres sont par leurs idées et par leurs mœurs sans tendance à la transaction. D’autre part, un capitaine d’artillerie qui construit aujourd’hui une batterie et qui demain va la commander sous le feu de l’ennemi reçoit de l’état pour tout cela 3,300 francs par an, sous la condition, bien entendu, de s’entretenir en bon équipage d’armes, d’habits et de chevaux. C’est excessivement commode et avantageux pour l’état, c’est-à-dire pour la bourse commune ; mais cela est d’un mauvais exemple. C’est une face particulière de la grande question du travail dans les prisons et les hospices, avec une nuance cependant : c’est que l’officier d’artillerie ne travaille pas de ses mains, que l’artillerie, indépendamment de ses dix compagnies d’ouvriers dont elle a absolument besoin pour entretenir et réparer son matériel dans les arsenaux, et dans les parcs des armées, emploie et fait vivre de 15,000 à 20,000 familles d’ouvriers qui lui sont fort attachées. La querelle se réduit donc à une querelle d’ingénieurs, ou plutôt c’est une querelle faite à l’artillerie par un très petit nombre de personnages vaniteux et indiscrets qui ont cru avoir trouvé une belle occasion de se faire jour, et qui devraient au moins nous savoir gré de les avoir charitablement avertis toutes les fois qu’ils ont failli faire fausse route.

Au lieu de nous accuser les uns les autres, au lieu d’apporter dans les graves circonstances où nous sommes cet esprit de désunion et de défiance qui a été si fatal à notre pays, groupons-nous au drapeau, travaillons à la délivrance avec les lumières et les forces que chacun possède. L’œuvre est grande, difficile ; elle a besoin du concours de toutes les énergies, de toutes les aptitudes, mais l’espérance est au bout. Nous avons déjà, grâce au bon sens, au vigoureux élan de Paris et des provinces, grâce à la paix qui s’est faite dans tous les cœurs de bonne volonté, reconquis notre honneur, compromis au début, de la guerre. Persévérons, et nous aurons mérité la victoire et reconquis notre patrie.

Général Susane.