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L’armée devait être indissolublement liée à sa cause ; il fallait séduire le peuple et lui faire oublier par des soins de toute espèce le souvenir de la liberté qu’il avait perdue. L’empereur français avait étudié la politique de l’empereur romain, et il sut s’en inspirer plus d’une fois. Il s’efforça de désorganiser les partis en employant tour à tour la force, les proscriptions, les promesses ; il s’efforça de désarmer les ambitieux en leur offrant des honneurs et des places. Tandis que l’exercice du pouvoir satisfaisait les uns, des largesses rassasiaient les appétits plus grossiers et les dévoûmens obscurs. On multipliait tout ce qui pouvait être une récompense et un moyen de séduction ; on rétablissait les anciennes charges du palais, les dignités de chambellans, d’écuyers, de veneurs, qui avec certaines prérogatives conféraient de gros appointemens. On créait le sénat, et on affectait à chacun de ses membres une dotation de 30,000 fr. Le corps législatif recevait en même temps une indemnité. On augmentait le traitement des ministres, et quelques années plus tard l’institution du conseil privé permettait de leur offrir, après leur chute, la consolation d’un revenu de 100,000 fr. L’administration tout entière voyait sa contrition améliorée ; les préfets surtout recevaient un traitement et un état à la hauteur du rôle qu’ils étaient appelés à jouer dans les départemens.

L’armée avait été l’instrument du coup d’état, et l’empereur savait par sa propre expérience quelle influence peut exercer dans les questions politiques l’intervention de la force. Il mit tous ses soins à se concilier la faveur de cet élément utile ; il distribua des décorations, des grades, même de l’argent, et concentra sur les soldats et sur leurs chefs toutes ses bonnes grâces. Il institua en leur faveur un nouvel ordre, la médaille militaire, et créa la caisse de la dotation de l’armée. La médaille leur assurait, avec une distinction glorieuse, la jouissance d’un revenu de 100 francs. La caisse de la dotation fournissait des primes importantes à ceux qui se réengageaient, donnait des hautes paies et des supplémens de pension. En même temps qu’on s’étudiait à s’attacher ainsi le soldat, on établissait un corps qui devait être pour lui un objet d’émulation et de désir. La garde impériale, instituée avec un équipement somptueux et une solde élevée, offrit dans ses rangs privilégiés une récompense à ceux qui se distinguèrent par leur zèle ou leur dévoûment. À ces moyens, on joignit pour les chefs les plus élevés des situations auprès de l’empereur et le bénéfice du sénat. Plus tard, après la guerre d’Italie, on imagina pour les vainqueurs de Magenta et de Solferino l’institution aussi inutile que dispendieuse des grands commandemens militaires. Les maréchaux purent y trouver toutes les jouissances du luxe et les satisfactions de l’amour-propre.