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LES FINANCES DE L’EMPIRE.

L’empereur, en donnant à l’armée des soins aussi attentifs, ne négligeait cependant pas le peuple. Il rechercha par des actes nombreux les sympathies de la classe ouvrière. La politique de Rome contenait la multitude en lui donnant du pain et des spectacles ; Napoléon III eut pour objet constant de lui procurer du travail, d’élever son salaire, d’accroître son bien-être et ses jouissances, d’endormir dans les douceurs d’une vie plus aisée l’esprit d’indiscipline et de révolte, déjà si fatal à plusieurs gouvernemens. Pour atteindre ce but, il donna un essor immense à tous les travaux publics et privés ; une partie de la France fut démolie et reconstruite. La fièvre des boulevards, des squares, des places, se répandit de Paris dans les villes les plus obscures. On élargit les rues, on créa des promenades, on couvrit le sol de bâtimens. À côté de travaux utiles et féconds, on entreprit des œuvres stériles et coûteuses ; mais le travail abonda, l’ouvrier fut payé plus cher, et, il faut le reconnaître, son existence devint plus facile.

La vie à bon marché était aussi un des rêves de l’empereur. Il n’eut pas le bonheur de le réaliser, car sous son règne la cherté devint plus grande, et le prix des loyers atteignit des hauteurs inconnues jusque-là. Il essaya néanmoins d’apporter une sorte de soulagement par l’application des théories économiques du libre échange. En supprimant les droits qui frappaient les produits des autres pays, en détruisant les prohibitions établies par le système de la protection, il espéra procurer à meilleur marché les matières et les denrées, en même temps qu’il favorisait l’extension des opérations commerciales et le perfectionnement de l’industrie. On sait comment aboutit cette réforme : très prônée par les uns, très attaquée par les autres, elle fit baisser le prix de quelques denrées, enrichit certaines industries, ruina les autres, et produisit dans le pays une quantité de bien et de mal dont il est encore difficile d’apprécier exactement la mesure. Le libre échange a peut-être le tort de toutes les formules absolues. Il n’a pas plus le privilège de convenir à toutes les industries que la saignée et l’eau chaude ne conviennent à tous les tempérament. Les théories de la protection et du libre échange sont chacune de leur côté incomplètes et critiquables. La première ne songe qu’à l’intérêt du producteur, tandis que la seconde se préoccupe exclusivement du consommateur. La vérité ne serait-elle pas entre les deux ? ne consisterait-elle pas dans un égal mélange des principes des deux systèmes fait avec bon sens et appliqué en dehors de toute préoccupation d’école ?

Napoléon n’avait jamais eu que de l’éloignement pour cette partie du peuple qu’on nomme la bourgeoisie, et qui n’est autre chose que le peuple parvenu à l’aisance par le travail et l’économie. Il avait