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Que nous faut-il pour cela ? Une seule chose, la persévérance dans l’effort. Ce qui est difficile pour la nation, je le sais, ce n’est point l’élan, même héroïque, c’est la ténacité du vouloir, c’est la durée dans la résolution, c’est la vigueur soutenue. En bien ! que chacun de nous s’exerce à cette vertu rare en France, la patience contre l’obstacle et surtout contre l’obstacle intérieur, notre mobilité d’humeur, la promptitude de nos dégoûts, ces énervement et ces lassitudes par lesquels nous avons plus d’une fois failli périr. Ah ! si nous savions vouloir comme nos ennemis, ceux qui sont à nos portes, vouloir comme eux, non pas un mois, mais dix ans, non pas dix ans, mais un siècle ! Sachons au moins prendre le secret de leur force ; sachons imiter cette énergie tenace d’un peuple qui a fait à nos dépens la preuve de sa supériorité momentanée ! Que cette revanche terrible d’Iéna nous offre à nous-mêmes l’occasion et le profit d’un perfectionnement durable ! Pour cela, nous n’avons qu’à nous inspirer de l’exemple que nous a donné la Prusse. Quoi de plus patriotique que de reconnaître les qualités de ses plus implacables ennemis, à la condition d’en profiter ? Par une coïncidence bizarre, en même temps que tonne sur nos remparts l’artillerie prussienne, on publie (bien tardivement, hélas !) un remarquable rapport adressé en 1868 au ministre de la guerre par notre attaché militaire en Prusse, et qui, expliquant le présent par le passé, retrace en termes expressifs cette grande histoire. L’audace dans le dessein, la vigueur dans l’exécution, voilà les traits de la nation que nous combattons. Ce que l’on connaissait moins, c’étaient les fortes qualités dont l’emploi remplissait l’intervalle des grands événemens, et par lesquelles se préparait, s’assurait cette singulière fortune d’un peuple deux fois abattu en un siècle et se relevant deux fois de l’abîme avec une vigueur plus indomptable. Écoutons l’observateur sagace que nous avions placé à Berlin pour nous envoyer de là des informations excellentes que personne ne consultait à Paris et des conseils qui viennent d’être exhumés, un peu tard, des cartons du ministère. Aucune période de l’histoire de la Prusse n’est plus instructive que celle qui suivit la catastrophe d’Iéna. La Prusse est anéantie ; l’empereur la relègue au-delà de l’Elbe, lui impose des contributions écrasantes, et malheureusement y ajoute les humiliations en exigeant qu’elle n’entretienne pas plus de 40,000 hommes sous les armes. Alors cette nation virile, tout en se courbant sous le joug de la nécessité, se replie sur elle-même ; elle étudie les causes d’un si profond désastre, bien résolue à s’affranchir et à se venger. Aidé des sentimens qui animent toute la nation et entraîné par des hommes de cœur, le gouvernement se prépare à profiter du moment favorable, élude les conditions humiliantes imposées par l’empereur en instruisant sans relâche de nouvelles troupes de landwehr ; puis