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dispersée ces Discours où il osait lui annoncer les plus sublimes destins, qui dans les salles de l’université de Berlin, pendant l’occupation française, répandait avec son âme dans celle d’un auditoire frémissant les ardeurs de sa philosophie vengeresse. — C’est que toutes les théories humanitaires, si belles dans l’idéal, s’évanouissent comme une vaine fumée quand l’ennemi est là, devant vous, en armes et en vainqueur.

Nous avons sous la main les élémens de notre régénération. Le principal de tous, c’est le renouvellement de l’armée par son mélange intime avec l’élément civil. Je ne suis pas de ceux qui accusent de trahison nos généraux vaincus, et jusqu’à preuve du contraire je ne veux pas admettre qu’il puisse y avoir des mains assez criminelles, quand elles ont reçu en dépôt la fortune de la France, pour la laisser volontairement échapper ou la livrer à nos mortels ennemis ; mais ce qui est aujourd’hui démontré jusqu’à l’évidence, c’est que le système de nos institutions demande à être complètement refondu dans ses instrumens matériels comme dans ses élémens moraux, dans ses méthodes comme dans l’esprit qui l’anime. Le mot du chancelier du nord nous trace les conditions du salut : « la Prusse est une nation armée contre une nation qui à une armée. » Excellent avis qu’il faut mettre à profit non pas seulement aujourd’hui, dans la crise formidable qui nous étreint, mais dans l’avenir, quand nous aurons le loisir de l’organiser. — L’armée tendait à se séparer de nous, elle devenait insensiblement une nation dans la nation ; pis que cela, elle devenait une carrière. Il faut remettre nos institutions militaires en contact avec l’esprit vivant de la France. Le service sous les armes ne doit plus être une fonction pour quelques-uns, il est un devoir pour tous. Non, sans doute nous ne devons pas désarmer : cette belle utopie doit disparaître devant les leçons que nous donne la Prusse, devant les vagues menaces qui nous viennent de la Russie, devant l’état fiévreux et inquiet de l’Europe, où l’on s’aperçoit de ce qui manque dès que la France, véritable justicière, n’y fait pas régner l’ordre en imposant aux forts le respect des faibles ; mais nous devons armer toute la nation, imposer à la jeunesse dès le collège ce rude apprentissage, la préparer au métier qu’elle fera plus tard, un an ou plus suivant les circonstances et selon les degrés de son instruction. Nous ne détruirons pas les cadres de notre armée, nous y ferons passer à grands flots toujours renouvelés le peuple entier pour le rendre capable non de conquête, mais de résistance à la conquête, pour n’être plus un jour surpris à l’improviste, comme nous l’avons été par des millions de voisins tranquilles, studieux, pacifiques en apparence, levés soudain comme par un coup de baguette magique et se ruant à travers nos bataillons broyés jusqu’au cœur de la France.