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LA POLITIQUE D’ENVAHISSEMENT.

t-elle à faire sur la Loire ou sur la Somme ? C’est que la Prusse voulait autre chose encore que l’Alsace et la Lorraine. Sa race voulait exterminer notre race, son orgueil voulait effacer notre nom, son envie voulait détruire nos arts et nos sciences, sa cupidité voulait emporter nos richesses. Par-dessus tout, sa dévotion prétendait châtier nos vices, et elle commençait par nous enlever notre argent, afin d’en faire à Berlin un meilleur usage que nous.

Voilà jusqu’où a été poussée la politique d’envahissement. Louvois en avait connu quelques règles, la monarchie prussienne les a connues toutes. Jamais l’art d’envahir n’avait été porté si loin, jamais monarques ni ministres n’avaient si bien su employer un peuple à en frapper un autre.

III.

Quels fruits la Prusse et l’Allemagne recueilleront-elles de la politique dont elles sont aujourd’hui les instrumens ? Pour le savoir, il faudrait lire bien loin dans l’avenir. Les événemens ne manifestent pas si vite leurs vraies conséquences. Il faut quelquefois un quart de siècle et même davantage avant que l’on puisse dire : Voilà le résultat. Aussi combien de déceptions ! combien de fois n’arrive-t-il pas que ce résultat est exactement l’opposé de ce qu’on avait voulu et cru produire ! Telle guerre dans laquelle une nation avait toujours été victorieuse a pourtant abouti à l’abaissement de cette nation. Tel grand politique avait voulu diriger la société dans une certaine voie, et, toujours heureux dans ses entreprises, il croyait son but atteint ; cependant la société a marché dans une voie tout opposée. Les plus beaux calculs se sont souvent trouvés faux, et il est souvent arrivé que les succès et les victoires ne furent que des apparences et des illusions d’un moment.

Il faudra donc attendre encore longtemps avant de dire ce qu’aura produit la politique de M. de Bismarck. On ne saura peut-être que dans vingt ou trente ans dans quel sens il aura modifié les destinées de l’Allemagne. Pourtant, comme sa politique n’est pas nouvelle, on peut savoir au moins quels en ont été dans le passé les effets à peu près inévitables. Si l’œuvre de M. de Bismarck est encore inachevée, celle de Louvois a produit depuis longtemps toutes ses conséquences ; il nous est donc possible de juger l’arbre par ses fruits. De même que l’histoire se demandera un jour quel bien ou quel mal la politique de M. de Bismarck aura fait à son propre pays, nous pouvons nous demander si Louvois a été utile ou funeste au sien.

Pendant les vingt-cinq années que Louvois dirigea la politique,