Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
24
REVUE DES DEUX MONDES

conduisit la diplomatie, organisa les armées, la France n’eut que des succès ; dans les guerres contre l’Espagne, contre la Hollande, contre la coalition d’Augsbourg, ses armées furent toujours victorieuses. Et pourtant Louis XIV ne put garder ni la Belgique, ni les places de la Hollande, ni Luxembourg, ni Philipsbourg. Au commencement de chaque guerre, il mettait la main sur l’objet de sa convoitise, et en dépit de ses victoires il était contraint à chaque traité de restituer presque tout ce qu’il avait pris. On est frappé du peu que lui servaient ses victoires. Il n’acquit en définitive que Strasbourg, quelques villes de Flandre et la Franche-Comté, et comme il faut retrancher ici Strasbourg qui ne fut pas pris par la force des armes, il ne reste donc à l’acquis de cette politique de conquête que la Franche-Comté et quelques villes de la Flandre.

Encore se tromperait-on beaucoup, si l’on jugeait qu’une puissance a grandi dans une guerre parce qu’elle a pu y acquérir quelques provinces. La France avait gagné, à la vérité, des territoires et des villes, mais elle avait perdu des amitiés et des alliances. La Hollande était devenue notre ennemie. L’Angleterre, qui au temps de Henri IV et de Richelieu avait été ordinairement avec nous, se montrait notre adversaire acharné. L’Allemagne, qui nous avait toujours aimés jusque-là, témoignait une antipathie et une défiance qui devaient nous devenir funestes au XVIIIe siècle. La Russie n’existait pas encore ; mais la Suède, qui avait été au temps de Richelieu notre point d’appui du côté du nord, cessait d’être avec nous et partageait la haine générale. Ainsi la politique d’envahissement et les succès mêmes de la France n’avaient pour effet que de liguer toute l’Europe contra elle. Elle avait quelques villes de plus, mais elle était isolée dans le monde. Son influence était certainement amoindrie, son prestige diminué, sa sécurité même compromise.

Mais c’est à l’intérieur même du pays qu’il faut regarder, si l’on veut juger les fruits de la politique de ses maîtres. Pour poursuivre ces grandes luttes, il avait fallu épuiser la France en hommes et en argent. Louis XIV, vers la fin de son règne, avait une peine infinie à se procurer des soldats. Pour l’argent, les difficultés étaient encore bien plus grandes. Le budget des années de guerre s’élevait à peu près au double de celui des années de paix : aussi, pour faire la guerre, il fallait doubler les impôts. On essaya d’abord d’augmenter les impôts directs, mais plusieurs provinces se révoltèrent. On fit le même essai sur les impôts indirects, mais alors le commerce s’arrêta. On créa des impôts nouveaux, le droit d’enregistrement, la capitation, la dîme et jusqu’à une taxe des pauvres levée au profit du roi. C’était une lourde charge pour la conscience que d’être ministre des finances en temps de guerre ; Le Pelletier qui le