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Les Celtes et les peuples septentrionaux, dit Keysler dans ses Antiquités septentrionales et critiques, composaient avec la chair des chevaux sacrifiés aux dieux le mets principal du repas solennel qui suivait le sacrifice. L’anathème lancé contre des actes que le christianisme réprouvait s’est étendu à tout ce qui s’y rapporte. Le pape Grégoire III, écrivant à l’apôtre saint Boniface, lui disait : « Quelques habitans mangent du cheval sauvage, et la plupart du cheval domestique. Faites perdre cette abominable coutume par tous les moyens qui sont en votre pouvoir, quoi qu’il en puisse advenir. Imposez à ces mangeurs de cheval une juste pénitence. Ils sont immondes, et leur action est exécrable. » Keysler s’étonne que nous ne comptions pas la chair du cheval, de cet animal si beau et si net, parmi nos viandes les plus recherchées. D’après l’avis des personnes qui en avaient mangé, il soutenait qu’elle n’est ni fade ni coriace, et il laisse comprendre qu’il en aurait fait assez volontiers sa nourriture. Les peuples Septentrionaux trouvaient qu’en effet c’était un bon aliment, et, malgré la défense si formelle du pape Grégoire, ils continuèrent d’en manger, ce qui provoqua de la part de Zacharie 1er une lettre par laquelle il défendait de manger du cheval, du lièvre et du castor. Nos ancêtres, ajoute l’archéologue bavarois, ont continué à se priver, à leur grand préjudice (magno rei familiaris detrimento), de la chair de cheval ; mais la défense relative à la chair du lièvre, intéressant moins la religion, est tombée en désuétude.

Ou avait donc cru que, pour faire renoncer les populations aux pratiques religieuses antérieures au christianisme, on devait leur interdire l’usage des festins qui constituaient en partie ces pratiques. Sans insister sur ce sujet, on peut dire que, si la prohibition religieuse a eu de l’influence dans le viiie et le ixe siècle, elle n’en a plus exercé postérieurement, et que depuis longtemps elle est complètement oubliée. D’un autre côté, il est rare qu’un préjugé persiste longtemps quand il est contraire à l’intérêt de la population. Aussi voyons-nous depuis trois mois ce que valait le préjugé qui a toujours été donné comme s’opposant à la consommation de la viande de cheval. Ce n’est pas évidemment là ce qui pendant des siècles a fait oublier aux populations les plus éclairées du monde que les chevaux, les ânes et les mulets pouvaient leur offrir une grande ressource contre la misère, contre les disettes qu’elles ont eu si souvent à supporter ! C’est donc ailleurs qu’il faut chercher la cause réelle de l’abandon de l’hippophagie chez les peuples de l’Occident européen. L’obstacle principal provenait des conditions économiques de la production des animaux, du prix élevé auquel revient la viande de cheval, de l’intérêt que nous avons eu jusqu’ici à l’utiliser en