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huit ans, et un troisième de vingt-trois ans. Ces animaux étaient usés et si maigres, nous apprend M. Bourguin, que le maître d’hôtel n’avait pu en recueillir assez de graisse pour la préparation d’un plat de légumes destiné aux convives. Les plats avaient été accommodés de la manière la plus simple, afin de ne masquer ni la saveur ni l’odeur de la viande. Les organisateurs de ce banquet un peu aristocratique, ne voulant pas qu’on pût leur reprocher de conseiller la viande de cheval pour les classes pauvres, prêchèrent d’exemple ; mais quelque temps après, le 30 septembre 1866, un second banquet hippophagique, celui-ci populaire, eut lieu chez un restaurateur de la chaussée Ménilmontant.


II.

Malgré tous ces efforts, on était arrivé jusqu’au mois de septembre 1870, c’est-à-dire jusqu’à la veille du siège de Paris, sans pouvoir dire que la viande de cheval fut acceptée par la population comme denrée alimentaire. M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire termine une de ses lettres sur les subsistances avec un accent de tristesse que comprennent ceux qui savent tout ce que fit ce savant, homme de bien, pour améliorer la nourriture des classes laborieuses. « On avait, vu, écrivait-il, dans l’emploi alimentaire de la viande de cheval un fait exceptionnel et anormal propre à un petit nombre de peuples. N’ai-je pas le droit de dire qu’il faut aujourd’hui renverser les termes de cette proposition ? L’exception, c’est tout au contraire ce qui a lieu parmi nous ; c’est le délaissement, l’abandon à des usages secondaires d’une chair que tous ceux qui en ont essayé déclarent saine et de bon goût. L’anomalie, c’est la condition, à ce point de vue, des nations les plus civilisées de l’Europe centrale et occidentale. Impuissantes avec toute leur science et toute leur industrie à produire la viande nécessaire à leur alimentation, elles sacrifient celle qu’elles ont toute produite et en abondance sous la main à une vieille croyance, à un déplorable préjugé qu’on ne trouve que chez elles[1]. »

Vieille croyance ou déplorable préjugé ! Recherchons quelle part peut être attribuée à ces deux causes dans la perte que fait éprouver à la société l’emploi des chevaux morts à des usages secondaires, nous verrons ensuite s’il n’en existe pas d’autres. Les interdictions lancées par les papes Grégoire III et Zacharie 1er ont eu de l’influence sur les habitudes des peuples nouvellement, convertis au christianisme.

  1. Lettres sur les substances alimentaires, p. 110.