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bêtes bovines pour faire consommer leurs riches pâturages. Cela ne serait ni profitable pour eux, ni avantageux pour l’intérêt public. Ne serait-il pas à désirer qu’ils trouvassent dans les établissemens industriels, dans les écuries des villes, chez les loueurs de fiacre, des animaux pour remplacer les bœufs que les étables qui nourrissaient mal leur fournissaient jadis ? Pourquoi le cheval n’irait il pas prendre la graisse qui le rendrait propre à nous nourrir dans les herbages où il a pu acquérir la force qui l’a rendu capable de nous servir ? Mais passons à des conséquences moins hypothétiques. Avec le progrès de l’hippophagie, nous verrions augmenter le nombre de chevaux dans la plupart de nos provinces, au grand profit, non-seulement des éleveurs qui en produisent et qui ont de la peine à trouver des bœufs maigres pour consommer leurs herbages, mais aussi du commerce et de l’industrie, et, pouvons-nous dire, des amateurs. Combien de personnes qui se privent d’avoir un cheval, parce qu’elles savent qu’après l’avoir gardé deux ou trois ans on ne peut le revendre qu’en éprouvant une perte quelquefois considérable, qui se procureraient cet avantage, si on pouvait dire de ce « noble quadrupède » ce qu’on dit du bœuf : il augmente de valeur jusqu’au couteau !

C’est surtout au point de vue des remontes que les conséquences de l’hippophagie seraient précieuses. Les services que nous rendent les chevaux ne fussent-ils pas plus importans, le nombre de ces animaux augmenterait, parce que les chances défavorables de l’élevage seraient considérablement diminuées du moment qu’on pourrait livrer à la boucherie les sujets, jeunes ou vieux, réformés ou impropres au travail. Aujourd’hui la production chevaline est délaissée par beaucoup de cultivateurs qui cependant tiendraient à s’en occuper ; ils s’en abstiennent parce qu’ils savent que les jeunes chevaux sont exposés à de nombreux accidens : à s’éventrer en traversant les haies des propriétés, à être blessés par les ruminans avec lesquels ils cherchent à jouer dans les herbages, à se fracturer les membres, à contracter des écarts, des efforts de reins, de jarrets, des boulets, en franchissant les barrières, et à la perte de la vue, etc. Le moindre de ces accidens les déprécie complètement. Si une fois ils étaient admis dans les boucheries, on les élèverait comme on élève les bêtes bovines.

Cette question des remontes serait sensiblement simplifiée, d’abord à cause du nombre plus considérable de chevaux qui seraient produits, ensuite parce qu’il s’introduirait dans le mode d’élevage des changemens utiles à l’année. Quoique le cheval entier ne présente aucune odeur désagréable, qu’il soit à ce point de vue supérieur au bouc, au bélier et même au taureau, il a une viande moins déli-