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tain, et c’est là ce dont ne s’est pas douté M. de Bismarck. Les chefs allemands ont fondé tous leurs calculs sur une vieille donnée politique ils ont cru que par un immense effort tenté sur Paris ils allaient tenir la France, qui suivrait, comme cela s’est vu si souvent, le sort de sa capitale, et c’eût été peut-être vrai, si on n’avait pas eu le temps de préserver Paris d’un coup de main, si les Prussiens avaient pu nous réduire en quelques semaines, comme ils l’espéraient. La défense prolongée de Paris a bouleversé toutes les prévisions et a tout changé. Elle a laissé au pays le temps de s’émouvoir, de courir aux armes et de s’organiser. Cet étroit investissement, qu’on croyait un coup de génie, a contribué lui-même à nous relever en obligeant les provinces à se passer de la direction de Paris, à devenir à leur tour le centre d’une action nouvelle ; et il n’est pas jusqu’à cette combinaison bizarre du partage du gouvernement qui ne soit en définitive une garantie de plus aujourd’hui. Certes Paris n’a pas épuisé sa résistance et n’est pas prés de rendre les armes, fût-ce devant les fureurs d’un bombardement implacable ; mais enfin, dût-il arriver une catastrophe, qu’adviendrait-il ? Les Prussiens auraient pris une grande place de guerre qu’ils ne pourraient occuper et contenir que par d’immenses forces, et ils n’auraient pas atteint leur but. Le télégraphe ne gouverne plus la France, il y a un pouvoir national qui serait à Bordeaux ou ailleurs ; les armées existent et ne s’arrêteraient pas dans leur marche sur un mot venu de Paris. Voilà ce que M. de Bismarck n’avait pas prévu, et ce qu’il a rendu possible par les excès de sa politique. Voilà ce qui commence à déconcerter aujourd’hui les stratégistes allemands. On n’a pas cru à la France, et la France s’est levée ; elle est dans les camps, partout où il faut combattre l’invasion. Non, elle n’était pas morte, elle était à peine endormie, et elle a été bientôt réveillée. Le vieux sang français s’est retrouvé aussi ardent et aussi prompt que jamais à couler pour la patrie. Un même sentiment a confondu sous le drapeau les hommes de tous les rangs, de tous les âges, de toutes les fortunes, de toutes les traditions, et on n’aura réussi, en fin de compte, qu’à réchauffer la sève de cette nation, qui reste toujours la même en se transformant, en se rajeunissant quelquefois dans les épreuves.

C’est cette France à la fois ancienne et nouvelle, généreuse, libérale, humaine, fidèle à l’équité et au droit quand elle ne s’inspire que d’elle même, portant dans ses transformations démocratiques ses qualités traditionnelles, c’est cette France qui est toujours et plus que jamais peut-être nécessaire à l’Europe. Ce n’est pas que nous devions nourrir dans notre pays des idées blessantes pour les autres peuples ; cela nous siérait mal dans nos revers, dussent ces revers se changer demain en succès ; mais n’est-il pas vrai, malgré tout et quoi qu’en disent les teutomanes acharnés à détruire l’empire « des Francs, » que ce vieux pays des Francs est un lien en Europe, une garantie d’équilibre, un