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organe essentiel de la vie occidentale ? L’Europe elle-même commence bien à s’en apercevoir. Une conférence se réunit à Londres pour délibérer sur les affaires d’Orient, sur les modifications du traité de 1856 réclamées par la Russie, et, avant d’aller plus loin, cette conférence s’arrête, reconnaissant qu’elle ne peut rien faire sans le concours de la France. C’est le premier fruit de cet énergique effort de notre pays pour se délivrer, et ce seul fait, qui vient de se passer à Londres, est peut-être l’indice le plus significatif du changement de notre fortune militaire. Il y a trois mois, on eût peut-être délibéré sans nous. Aujourd’hui on recommence à trouver que la France est nécessaire, on l’appelle aux conférences européennes. L’Autriche, l’Italie et la Turquie ont été les premières à réclamer la présence d’un ministre français, et c’est lord Granville qui a été chargé de transmettre une invitation officielle à notre gouvernement. Qu’allons-nous faire ? À quoi s’arrête le gouvernement dans une situation qui ne laisse point que d’être aussi complexe que délicate ? Au premier coup d’œil, il y avait une question de forme et une question de fond. M. Jules Favre, appelé à Londres par la diplomatie européenne, ne pouvait évidemment partir en ballon. Pour passer à travers les lignes prussiennes, il avait besoin d’un sauf conduit, réclamé par l’Angleterre, et M. de Bismarck, trop occupé sans doute à nous bombarder, ne paraît pas avoir mis plus d’empressement à délivrer ce sauf-conduit qu’il n’en avait mis à nous laisser arriver l’invitation de lord Granville. D’un autre côté, on se trouvait dans une condition assez irrégulière, puisque la république française n’avait pas été officiellement reconnue jusqu’ici par les principales puissances ; mais il est bien clair que ces difficultés avaient dû être prévues, que M. de Bismarck, quel que fût son mauvais vouloir, n’aurait pu opposer un refus sans se montrer insultant pour l’Europe elle-même, et que, si on faisait appel à notre ministre des affaires étrangères, ce n’était pas pour que la France entrât dans un congrès d’une manière équivoque. Restait à savoir si M. Jules Favre pouvait quitter Paris bombardé et menacé de destruction, s’il devait s’exposer à se rencontrer dans un conseil diplomatique avec le représentant d’un souverain qui commande lui-même ce bombardement, s’il ne serait pas plus digne de la France de s’abstenir dans des circonstances où elle n’a pas toute sa liberté d’action, où elle ne peut qu’être avant tout occupée de sa propre délivrance. Ces questions, le gouvernement semble les avoir résolues à demi. Il accepte l’invitation transmise par lord Granville, M. Jules Favre doit se rendre à Londres ; mais il déclare lui-même qu’il ne peut quitter Paris « au milieu du bombardement dirigé sur la ville. » C’est donc une affaire d’opportunité, et on pourrait appeler tout ceci une conférence interrompue par un bombardement prémédité peut-être dans l’unique dessein de brusquer les événemens avant toute délibération de la diplomatie. Quels que soient les scrupules de M. Jules Favre, ce qui tranche