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les annales de tous les siècles aient enregistrés. Ce vieillard détestait Paris ; il l’accusait d’avoir étouffé dans le sang un règne honnête et une révolution juste en 1793, traité seul de la reddition du pays en 1814 et 1815, chassé en 1830 les Bourbons qu’il avait acclamés, renversé dix-huit ans après la monarchie d’Orléans qu’il avait faite, élevé et abattu la république de 1848, accepté et attaqué le second empire, bâclé enfin la république du 4 septembre, déjà menacée par la commune. Il n’hésitait pas à soutenir qu’une telle histoire rendait Paris un lieu décidément inhabitable pour un gouvernement, qu’il convenait de prendre un parti radical, et de transporter enfin l’autorité centrale du pays loin de ce volcan dont les flancs dangereux déchaînent tour à tour quatre fléaux, la domination, la corruption, la révolution et l’invasion.

Un peu de réflexion ramène à une appréciation plus juste, et conduit à séparer les rancunes passionnées des raisons sérieuses, les faits dont Paris est coupable des faits dont la France doit porter sa part de responsabilité. Nous n’avons pas à refaire l’histoire des révolutions de la France au xixe siècle, et nous ne contestons point la part très grande, très dominante, que la population, la presse et les députés de Paris ont prise dans ces événemens, qui, pour être quelquefois légitimes, n’en sont pas moins toujours une perte de temps, de force, de sang, un arrêt dans la marche régulière de la civilisation d’un peuple ; mais n’est-il pas juste de rappeler que les souverains et la cour sont toujours pour beaucoup dans les renversement, comme les révolutionnaires et la rue dans les réactions ? Les 221 députés de 1830 n’étaient pas tous de Paris, les auteurs des banquets de 1847 n’étaient pas tous de Paris, les 7 millions de suffrages, les candidats officiels, les chambellans et les maréchaux de l’empire n’étaient pas tous de Paris, et vraiment on confond trop souvent la scène avec les acteurs, le champ de bataille avec la bataille, le lieu où les événemens s’accomplissent avec les causes qui les ont amenés.

Il convient d’écarter tout de suite des griefs contre Paris la crainte d’une invasion. Aucune situation topographique ne peut mettre une ville à l’abri de l’inondation d’un peuple en armes. L’Allemagne l’apprenait de nous en 1806, et nous l’apprenons d’elle en 1870. Quelle ville de France est garantie en ce moment contre les bandes prussiennes ? Est-ce Lille ou Rouen ? Tours, Bourges, Nevers ou même Lyon ? Peut-on proposer de choisir comme capitale une des villes du midi, Toulouse, Marseille ou Bordeaux ? Avec les nouvelles conditions de la guerre, avec les conditions, hélas ! nouvelles aussi, faites par la Prusse au droit des gens et à la morale en politique, le péril de l’invasion est à peu près aussi redoutable, et il menace