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de devenir aussi habituel en Europe qu’en Chine. Constantinople, Lisbonne, Alexandrie, Copenhague, Carlsruhe, Vienne, La Haye, Bruxelles, ne sont pas des capitales plus sûres que Paris, Rome ou Varsovie. Quant à la captivité du gouvernement dans une place fortifiée et assiégée, n’est-elle pas le résultat d’une faute ? Elle n’était pas une nécessité. Relisez les discours prononcés en 1840 dans les chambres françaises sur les fortifications de Paris, relisez surtout le discours de M. le duc de Broglie, véritable prophétie de la guerre actuelle. On a toujours prévu, sans que cela fit l’ombre d’un doute, que dans le cas d’un siège de Paris le gouvernement devrait se transporter hors de la ville, précisément en vue de la mieux secourir, de n’être pas pris, d’assurer l’ordre au pays, d’y imprimer le mouvement et de se tenir en relations avec l’Europe. Les ministres de la guerre et de la marine, le ministre des finances, le ministre de l’intérieur, le ministre de la justice, le ministre du commerce, les seuls ministres utiles, devaient quitter Paris avec le roi, avec les chambres, avec tout l’appareil administratif, financier, judiciaire, et ne laisser dans la ville assiégée qu’un gouverneur militaire investi de tous les pouvoirs.

Après la révolution du 4 septembre, les députés de Paris, subitement élevés au poste de la défense nationale, n’ont pas voulu se séparer des habitans de la ville qui venait de les acclamer ; ils ont envoyé en province une délégation au moins insuffisante, avec des préfets mal choisis. Puisqu’ils obéissaient à un sentiment généreux en voulant partager nos périls, nul ne voudrait les accuser ; mais ils ont manqué à un devoir de facile prévoyance, indiqué par les promoteurs mêmes des fortifications de Paris, et les événemens ont mieux démontré chaque jour la gravité de cette faute politique. Quoi qu’il en soit, il est impossible d’en tirer argument pour affirmer qu’une capitale doit toujours être une place ouverte, tandis que, dans une place de guerre, le gouvernement est nécessairement fait prisonnier. On a pensé au contraire en 1840 que, la capitale étant une place ouverte, il importait de la fortifier pour opposer une digue énorme au flot des envahisseurs. Il ne faut pas oublier l’histoire de la campagne de Prusse en 1806. Lorsque douze jours après la bataille d’Iéna Napoléon Ier entra le 27 octobre à Berlin, la Prusse tomba comme une maison démolie : Erfurt se rendit à Murât avec deux maréchaux, Stettin livra 160 pièces de canon à Lasalle, la forteresse de Magdebourg avec 20,000 hommes et 800 pièces de canon s’ouvrit sans combat au maréchal Ney, et le maréchal Mortier alla confisquer les magasins de la ville libre de Hambourg. Tout cela fut fait en un mois. Si Napoléon eût été obligé de mettre le siège devant Berlin, d’y demeurer cent jours, les Russes arri-