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lieu de rendez-vous entre des états souverains qui ont chacun leur capitale ; c’est le lieu d’un congrès, d’une conférence régulière sur les intérêts communs, ce n’est pas le centre d’une administration unique. Les hommes peuvent choisir un lieu de rassemblement régulier, les siècles seuls font une capitale. Paris est l’œuvre de la nature et du temps. Sur un emplacement bien disposé pour nourrir, loger, défendre et retenir dans des conditions favorables un grand nombre d’hommes, la suite de nos ancêtres est venue jouer ce drame aux scènes pathétiques qui s’appelle l’histoire de Paris. L’unité territoriale de la nation a fait l’importance de la capitale ; l’unité politique a fait son rôle dans le pays ; l’unité de la langue, du goût, de l’esprit français, a fait son influence dans le monde. Il n’y a qu’un Paris, dit le proverbe populaire. Nous n’avons assurément pas atténué ses torts, comment oublier ses services ? Paris a servi la civilisation, il a servi la liberté, il sert en ce moment la patrie envahie. L’heure en vérité est mal choisie pour songer à le relever de son poste, à lui enlever le titre de quartier-général de l’esprit français et de l’honneur français.

Sachons vivre à notre mode, quels qu’en soient les inconvéniens, sans vouloir nous habiller à l’anglaise ou à l’américaine. L’unité est dans le génie de la France ; Paris est le symbole vivant, le centre lumineux, l’agent intelligent, le soldat courageux de cette unité. Il faut se répéter sans cesse que les maux dont Paris est le siège, non le principe, sont les maux communs à toute la nation. L’esprit révolutionnaire souffle partout, l’excès de la centralisation pèse partout, l’accumulation des habitans dans les villes se produit partout. La France ne doit plus désormais considérer Paris comme son ennemi, mais comme son image, comme le miroir et l’abrégé d’elle même, comme le point culminant où tout ce qu’elle a de meilleur s’élève au plus haut degré d’excellence, et où tout ce qu’elle a de pire descend au plus infime niveau de corruption. Déplacer la capitale, ce serait créer de nouveaux embarras ; quelle ville choisir ? comment réprimer les désordres de Paris, laissé à lui-même ? comment relier à la ville nouvelle tous les moyens de communication ? Un tel déménagement n’est pas possible, et n’aboutirait à aucun résultat politique sérieux, nous en avons eu la preuve surabondante. La capitale était à Tours ; on nommait à Tours les préfets, les généraux ; on contractait à Tours les emprunts ; on va continuer à Bordeaux. Le centre est déplacé, la centralisation demeure, il n’y a rien de changé. Ce n’est donc pas le moteur, c’est le mécanisme tout entier qui doit être transformé. La réforme de Paris n’est qu’un incident de la réforme de la nation, comme la défense de Paris ne doit être qu’un incident de la défense de la nation. Voilà la vérité.