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II.

L’intérêt de Paris lui-même, le dommage que le déplacement du gouverne aient causerait à ses habitans, ne m’ont pas servi d’argument dans la discussion qui précède. Il serait en effet trop facile d’établir que la présence du gouvernement n’est pas pour une cité un avantage sans compensation onéreuse. Paris est aussi une province, il est de toutes les provinces celle qui souffre la première des malheurs dont souffre la patrie. À chaque révolution, Paris est ruiné ; à chaque réaction, il est bridé ; à chaque transformation, il est taxé et surtaxé. Cette grande ville subit pour la plus large part les maux qu’on l’accuse d’engendrer. En outre voici vingt-deux ans que les Parisiens ont été privés par un décret de la république, puis par des lois successives de l’empire, du droit élémentaire, accordé à tous les Français, de nommer les contrôleurs des impôts qu’ils acquittent. On a cru ainsi désarmer Paris et le contenir. Au bout de vingt-deux ans, les provinces, qui avaient tant applaudi à ce châtiment, se sont aperçues que cette loi d’exception avait irrité les esprits, lâché la bride aux dépenses, soumis deux millions de Français et un budget de deux cents millions à une véritable dictature, en sorte que la peur du mal avait, comme toujours, poussé le mal à l’excès. La ville de Washington n’a pas de députés, mais elle a des conseillers municipaux ; elle est privée de vie politique, mais elle conserve une vie municipale. À Paris, la loi a défendu d’élire des conseillers municipaux, mais elle a permis d’élire des députés, et le mécontentement causé par la privation des droits municipaux a servi puissamment à jeter dans une ardente opposition les électeurs politiques, dont les représentans sont venus, au premier mouvement populaire, prendre la place de l’auteur des prodigalités et des servitudes de la municipalité parisienne.

Pourquoi donc tant redouter cette municipalité ? L’erreur qui attribue à Paris tous les maux de la France rend aussi faussement l’Hôtel de ville responsable de tous les désordres de Paris. Dans des jours néfastes, il y a eu à l’Hôtel de Ville un pouvoir qui se disait municipal, mais qui était politique, et dont la politique consistait à guillotiner. La commune révolutionnaire a déshonoré pour longtemps le pouvoir communal, et jeté dans les esprits une confusion de mots que tous les efforts ne parviennent pas à détruire, parce que la peur et l’horreur ne veulent rien entendre. La commune de Paris en 1793 était un comité insurrectionnel, et n’était même pas du tout une commune. Elle avait usurpé ce nom comme le reste[1]. Après avoir renversé la municipalité régulière, sous le nom

  1. Ce point a été parfaitement établi par M. Le Berquier dans son livre sur l’administration de Paris.