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LE DROIT DES GENS


ET


LA GUERRE DE LA PRUSSE




Trois siècles de progrès avaient enfin accrédité en Europe un droit des gens dont elle s’enorgueillissait à juste titre, qui faisait l’honneur de l’ère moderne. Grâce à ce droit tutélaire, le cercle des hostilités de peuple à peuple devait être dorénavant borné aux nécessités de la conservation et de la défense, et le xviie siècle avait traduit cette règle générale en une science raisonnée et positive. Gustave-Adolphe, ce parfait modèle des princes de l’époque, ce grand capitaine enlevé prématurément à l’admiration publique et mort dans tout l’éclat d’une renommée sans tache, trouvait le loisir de feuilleter un livre célèbre qui avait paru de son temps, le Traité du droit de la guerre et de la paix, dont les pages savantes contenaient l’exposition de la théorie nouvelle, et frappaient vivement les esprits, souvent attristés alors par les violences de la guerre. L’auteur de ce livre avait essayé de faire entendre aux hommes que la guerre avait ses lois comme la paix, et qu’il n’était pas permis aux princes de légitimer des méfaits à la seule condition de rester le plus fort ; il fondait le droit des gens, et le jeune vainqueur de Leipzig se faisait gloire d’y accommoder ses pratiques. Aujourd’hui le spectacle offert à l’Europe a été bien différent. Le ministre d’un prince chrétien n’a pas craint de proclamer qu’en temps de guerre la force primait le droit, et une armée est à nos portes qui semble chargée d’appuyer l’application de cette doctrine. Et en quel temps cette atteinte à la morale universelle s’est-elle produite ? À la fin du xixe siècle, qui a condamné pendant cinquante ans les actes contraires d’un autre âge, — après les guerres de Crimée et d’Italie, où de grands peuples se sont honorés par l’adoucissement des effets désastreux de la guerre, — après le traité de 1856, où l’accord des puissances