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semblait avoir fermé le retour des conflagrations européennes, — après l’exposition universelle de 1867, où la réunion de tous les peuples policés du monde paraissait avoir consacré définitivement la prépondérance des arts féconds de la paix sur les arts destructeurs de la guerre. Chaque jour, le commerce, l’industrie, la science, rapprochaient les nations. Les chemins de fer sillonnaient l’Europe. Les communications de la pensée humaine étaient devenues aussi rapides que l’éclair, aussi multipliées que les heures, et plus les hommes se connaissaient, mieux ils semblaient comprendre qu’un lien fraternel devait les unir et les conduire désormais dans les voies d’un monde meilleur. Une seule idée paraissait dominer tous les esprits, le désir toujours croissant d’abattre les barrières qui séparaient encore les peuples, de substituer les luttes du travail et de l’intelligence aux luttes de l’ambition, de la cupidité, des préjugés de tout genre qui avaient entravé la libre expansion de l’humanité civilisée.

Ce n’est pas que je croie à l’utopie de la paix perpétuelle. Les guerres sont des crises quelquefois nécessaires, comme certaines maladies. Ceux qui ont rêvé la perpétuité de la paix ne connaissaient pas l’humanité. Le monde est un vaste théâtre d’action. La liberté de l’un s’y heurte constamment contre la liberté de l’autre ; de là les conflits, mais de là aussi le sentiment du droit, qui n’est autre chose que le règlement de la liberté. L’homme est né pour agir ; plus il agit, plus il est fort et rapproché de sa destinée. Une société constituée en paix perpétuelle tomberait peut-être en décomposition ; mais la guerre, quand elle éclate, doit être juste, motivée et mesurée. Elle n’est légitime qu’autant qu’elle est nécessaire. Dans de pareilles conditions, la guerre peut retremper les mœurs publiques, et relever le caractère des nations. Un état y retrouve sa virilité. Toutefois il y a un abîme entre cette guerre régulière, limitée, et la tempête désordonnée qui, attisant les passions internationales, met en péril l’ordre social lui-même. L’Amérique du Nord en a donné le funeste exemple dans la guerre civile des États-Unis, et l’Europe semblait s’être promis de ne pas l’imiter. Le progrès des temps modernes consistait à restreindre la lutte dans les bornes d’un conflit politique par le ministère des armées régulières, la participation de tout un peuple à la guerre demeurant désormais exclue des usages comme une irréparable calamité. Que s’est-il donc passé en Europe pour motiver le renversement de toutes les espérances généreuses, et pour ramener notre époque aux plus mauvais jours de l’histoire des nations ? Comment en quelques semaines des sociétés polies ont-elles pu passer de relations amicales à une lutte farouche et acharnée ? Comment expliquer ce retour funeste à la barbarie qu’on croyait disparue de la