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darmes. Les routes en étaient encombrées ; ceux qui rejoignaient les corps rencontraient à chaque pas leurs prédécesseurs, dont ils recevaient les premières notions du devoir militaire. C’était la navette de la désertion. On eût dit que les assemblées qui multipliaient les levées craignissent d’avoir de vrais soldats. Ces tristes réalités, bien connues aujourd’hui de quiconque lit notre histoire, ne sauraient trop être remises sous les yeux de notre génération, où tant d’esprits légers se nourrissent de déclamations, se paient de ces vains mots de levée en masse et de volontaires de 92.

Les 100,000 jeunes gens envoyés par les départemens au secours de la capitale ont fait leurs preuves de patience et de fidélité comme de courage. Devenus soldats en quelques semaines, ils le seront jusqu’au bout, quels que soient les besoins de la situation. Ils n’abandonneront leur poste ni devant l’ennemi du dehors ni devant le désordre au dedans : on peut, on doit les y retenir aussi longtemps que durera le danger, de quelque côté qu’il se présente. Se rattachant également par la composition de leur troupe à la garde nationale et à la ligne, ils sont dans la défense de Paris les représentans actifs de la province. Par leurs votes comme par leurs services de tous les jours, ils ont ajouté à la volonté librement exprimée par les Parisiens la consécration provisoire des départemens. Leur engagement n’a d’autre terme que la durée du pouvoir qui est à leurs yeux l’expression de l’ordre, l’autorité reconnue par leurs chefs, le gouvernement élu et soutenu par l’immense majorité des citoyens. Appelés par l’état à sa défense, et non pas inscrits à l’imitation d’un autre temps qui mettait sur le papier des milliers d’hommes pour en avoir tout au plus des centaines, ils ne portent pas le titre de volontaires, mais ils n’en sont que meilleurs soldats, ou plutôt ils sont volontaires par la rapidité avec laquelle ils se sont formés, organisés, mis en marche : ce sont les plus pressés de servir qui arrivèrent les premiers. Les levées en masse dans le vrai sens du mot n’eurent jamais lieu qu’à la frontière, et ce fut une affaire non de mois et de semaines, mais de jours et en quelque sorte d’heures. Le tocsin sonnait, aussitôt chacun de partir dans les cantons de bonne volonté ; mais la bataille ne venait pas sur-le-champ, comme on le croyait : l’ennemi manquait au rendez-vous. Et puis on était mal armé, les vivres n’étaient pas assurés ; l’administration avait compté sur les ressources de la localité. Le premier jour, les ménagères apportèrent le dîner exactement ; le second, elles étaient arrêtées sur les chemins, fatiguées par la route, empêchées par l’absence des provisions. Le surlendemain, presque tous les hommes manquaient à l’appel. Cette sorte de troupe n’est bonne que pour les coups de main : elle est formidable pour les armées en déroute,