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laissèrent pas arracher ses institutions civiles. L’invasion et la conquête ont toujours néanmoins quelque chose d’odieux, même quand elles ne brisent aucun lien national, quand elles peuvent s’annoncer comme des bienfaits. Le séjour des soldats ne va jamais sans ravages, même dans leur propre pays, à plus forte raison sur une terre jusqu’alors étrangère. Les armées de la république, outre les maux habituels de la guerre, apportaient avec elles les excès de la révolution elle-même, le déchaînement des passions populaires, la proscription des nobles et des prêtres, le pillage des châteaux et la spoliation des églises. De là dans les provinces rhénanes, à l’égard des envahisseurs, ce soudain passage de la sympathie à l’hostilité que Goethe a décrit admirablement dans Hermann et Dorothée : « Qui pourrait nier que les cœurs ne se soient élevés, qu’ils n’aient battu d’un pouls plus pur dans de plus libres poitrines, quand se leva dans son premier éclat le nouveau soleil, quand on entendit parler des droits de l’homme, qui sont les droits de tous, de la liberté qui enflamme les âmes et de la précieuse égalité ? Alors chacun espéra vivre de sa propre vie : il semblait qu’on allait voir se rompre les chaînes qui enveloppaient les nations sous l’empire de la paresse et de l’égoïsme. Tous les peuples, dans ces jours de nobles efforts, n’avaient-ils pas les yeux tournés vers cette ville qui depuis longtemps déjà était la capitale du monde, et qui méritait plus que jamais ce beau nom ? Les hommes qui les premiers nous apportèrent la bonne nouvelle n’étaient-ils pas les pareils de ces héros dont la gloire monte jusqu’aux astres ? Chacun ne sentait-il pas croître son courage, se développer son esprit, se transformer son langage ? Nous, leurs voisins, nous fûmes les premiers à partager leur enthousiasme. La guerre commença. Les Français armés s’approchèrent ; ils ne semblaient apporter que l’amitié, et ils l’apportaient en effet. Ils avaient tous l’âme élevée ; ils plantaient avec joie les arbres pleins de sève de la liberté, promettant à chacun le respect de son bien, le respect de son gouvernement. Tout joyeux étaient les jeunes gens, tout joyeux les vieillards, et l’on dansait avec ardeur autour des nouveaux drapeaux. Ainsi ils gagnèrent bientôt, ces Français triomphans, par leur abord plein de vivacité et de feu l’esprit des hommes, par leur grâce irrésistible le cœur des femmes. Léger nous parut le fardeau même d’une guerre ruineuse, car l’espérance planait devant nos yeux dans un lointain horizon, et nos regards se portaient avec ardeur vers les routes nouvellement frayées… Mais bientôt le ciel se troubla. Pour s’emparer du pouvoir s’avança une race perverse, indigne de réaliser le bien. Ils s’égorgèrent entre eux, ils opprimèrent leurs voisins, leurs nouveaux frères, leur envoyant une foule avide ; les chefs se jettent