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ambition prétendue, si elle n’avait vu, sur d’autres points, dans ce respect même, une menace pour sa propre ambition. Elle s’est indignée quand nous avons pris en main, avec une générosité imprudente peut-être, mais honorable, l’affranchissement de l’Italie : l’Italie libre, c’était l’Italie soustraite à une influence allemande, c’était un empiétement sur le droit de la race germanique à dominer, comme race supérieure, les races inférieures du midi ; un tel droit ne primait-il pas celui des Lombards et des Vénitiens ? Même indignation quand nous avons protesté contre le démembrement du Danemark : le Slesvig ne s’appartenait plus du moment que sa population s’était grossie d’Allemands, à qui seuls appartenait la souveraineté au nom de la philosophie de l’histoire. Même indignation encore avec plus de colère quand nous nous sommes émus de Sadowa, qui ne nous regardait pas, suivant M. de Bismarck : à quoi en effet songeait-on en France en prenant parti pour ces petit états, autrefois nos alliés et nos protégés, qui disparaissaient sans être consultés, en vertu du seul droit de la force ? En reprochant à notre gouvernement d’avoir coopéré par l’indécision ou plutôt par la duplicité de sa politique à cette œuvre d’iniquité, on se contentait cependant de la flétrir ; on l’acceptait dans ses effets présens, et, contre ses effets futurs, la France réclamait seulement des mesures de précaution que nous n’avons pas su prendre. Avions-nous tort de nous alarmer ? L’événement a prouvé de quel côté étaient les dangers et d’où partaient les menaces. La conduite de la Prusse depuis 1866 a provoqué de notre part une attitude hostile, et nous a menés par surprise à une déclaration de guerre ; mais nous n’en voulions pas à l’Allemagne elle-même, et nous comptions dans cette guerre, sinon sur sa neutralité, du moins sur sa modération. Nous la connaissions mal : elle n’attendait qu’une occasion pour abaisser et, s’il était possible, pour écraser la France.

Dès 1835, Henri Heine, cet enfant terrible de l’Allemagne, nous mettait en éveil contre le déchaînement des ambitions allemandes. « Prenez garde ! s’écriait-il, je n’ai que de bonnes intentions, et je vous dis d’amères vérités, vous avez plus à craindre de l’Allemagne délivrée que de la sainte-alliance tout entière avec tous les Croates et les Cosaques[1]. »

Depuis ces paroles presque prophétiques, sous leur ironie même, combien d’autres avertissemens nous sont venus, qui n’ont pas été mieux entendus ! La haine des Allemands contre nous n’a jamais manqué de faire explosion dans toutes les complications européennes, en 1840 avec le Rhin allemand de Becker, en 1859 avec la célébration

  1. De l’Allemagne, IVe partie.