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minés ; des trésors imprévus de charité vivace, active, militante, du jour et de la nuit, se sont versés sur nos détresses à pleines mains. Il s’est révélé tout à coup des aptitudes singulières, des vocations à panser, à guérir les blessures, à soulager tendrement le malheur, chez qui ? chez celles-là qu’on aurait pu la veille accuser de frivolité, tout au moins d’un peu trop d’élégance. Avec quel art et quelles fatigues elles ont dérobé leur secret aux véritables infirmières ! On a vu des salons dorés se transformer en ambulances et ne garder d’autre reflet de leur luxe passé qu’une hospitalité plus large, des soins plus généreux, de meilleures chances de guérison, et partout, même aussi sous le toit de la modeste aisance, même ardeur à panser, à consoler les malheureux ! Pouvez-vous croire qu’il n’en restera rien ? que de ce mouvement spontané, sans exemple, il ne résultera ni rapprochement ni concorde, surtout lorsque déjà une sorte d’émulation semble s’être établie entre les libéralités bienfaisantes et les misères soulagées ; lorsque vous avez vu chez ceux qui ont le plus souffert, dans les rangs les plus éprouvés de la population ouvrière, un courage si mâle, si simple, si résigné, tant de maux acceptés sans murmure ? Il n’est pas jusqu’au patriotisme qui ne soit devenu comme un lien nouveau entre des cœurs qui s’ignoraient, comme un moyen d’éteindre les rancunes, de dissiper les préjugés. Ce n’est plus cette fois comme en 1815, on ne verra plus de mouchoirs s’agiter pour insulter à nos désastres ; nous n’avons tous qu’une âme, mêmes vœux pour la France, même horreur de ses ennemis !

Voilà ce que nous laisse notre siège de Paris et son cortège de souffrances supportées en commun ; voilà le fruit de cette résistance qu’on voudrait nous faire regretter. Non, la preuve est trop éclatante que, malgré nos disgrâces, nos efforts sont bénis, que l’avenir nous est encore ouvert, et que, si nous le voulons bien, sur notre sol ainsi préparé nous pouvons faire germer la concorde et l’apaisement, c’est-à-dire le salut de notre société.

Mais prenons garde, sur ce sol préparé tout reste encore à faire, ou, pour mieux dire, il faut persévérer et lui donner désormais sans relâche les mêmes soins et les mêmes façons. Si après ces jours de dévoûment, de sainte et patriotique ardeur, nous reprenions nos molles habitudes, notre soif du plaisir, nos distractions et notre indifférence ; si ces vaillantes infirmières ne passaient plus leur temps qu’en stériles promenades, en futiles dissipations ; si tous, nous devenions moins assidus et moins habiles à chercher les souffrances, le cœur moins chaud, la main moins libérale, notre œuvre de ces cinq mois serait aussitôt perdue, mieux vaudrait n’avoir pas commencé. Il faut travailler tous, les riches comme les pauvres, de l’esprit et de l’âme aussi bien que des bras. Tout est à réparer, tout est à faire. C’est un siège nouveau que nous avons à soutenir : on n’en a pas fini de la vie du rempart : il en fait une encore, non moins virile, et constamment austère.