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Voilà notre besogne ; mais qui nous conduira ? qui sera chef de cette nation de travailleurs ? Elle ne peut pas longtemps errer à l’aventure. Qui saisira le gouvernail ? Je réponds : tout le monde ; et je tiens, quant à moi, pour le plus imprudent, le plus funeste des désirs tout besoin de chercher aujourd’hui dans un homme, dans une résurrection d’un passé quel qu’il soit et quelque confiance qu’il nous puisse inspirer, le messie que nous attendons tous. Je sais que l’heure est mal choisie, et que nos récentes expériences ont bien pu ne pas mettre en faveur, surtout dans nos provinces et même en partie dans Paris, le mot qui sert à désigner ce genre de gouvernement collectif et anonyme qui seul me semble, et viable aujourd’hui, et désirable désormais. Mais qu’importent les mots ? Je dis plus, y a-t-il rien qui soit plus secondaire que les formes de gouvernement ? Le fond seul m’intéresse, et le fond c’est la liberté, la vraie, celle qui garantit l’ordre et assure la sécurité. Que les libéraux sincères ne s’alarment donc pas : la république qu’il leur faut soutenir, la seule qui puisse prévaloir, la seule que la France voudra sanctionner, ce n’est pas celle qui s’est toujours montrée étroite, jalouse, exclusive, sorte de monopole, le patrimoine de quelques-uns ; c’en est une autre, ouverte à tous, généreuse, impartiale, protectrice de tous les droits et de tous les mérites, c’est-à-dire, je l’avoue, et j’aime à le reconnaître, un genre de gouvernement qui sera pour la France absolument nouveau. Point de copie du passé ; jeunesse, vie nouvelle, intelligence, travail, moralité, voilà le besoin du présent, la garantie de l’avenir, la condition du salut.

L. Vitet.


ESSAIS ET NOTICES.




L’Invasion en 1870, par M. Albert Delpit ; 1 vol. in-12 ; Paris, Lachaud.

S’il fallait un témoignage du réveil national que l’invasion prussienne a provoqué en France, on le trouverait dans les nombreuses poésies que chaque jour a fait éclore, et qui toutes poussaient à la résistance. Nous aussi peut-être, comme l’Allemagne de 1813, nous aurons un jour nos Arndt et nos Kœrner, et l’exemple de ces patriotes dont s’honorent nos agresseurs ne sera pas entièrement perdu pour la France. À ce titre, il faut signaler le remarquable recueil de M. Albert Delpit, l’Invasion en 1870. C’est un livre fait pour émouvoir véritablement, parce que le poète est ému lui-même jusqu’au fond de l’âme ; c’est la douleur, la colère, la haine, qui font explosion en présence de nos désastres et des excès de l’envahisseur. Il n’y a point là de rhétorique, tout est tiré des entrailles mêmes du sujet, et c’est précisément ce qui distingue la vraie poésie.

Quoique l’idée de l’invasion remplisse le livre de M. Delpit, on ne