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appartenir. L’Allemagne n’a pas su se concilier à ce point l’attachement des peuples qu’elle avait pendant des siècles enchaînés à ses destinées. Si la Posnanie est toujours frémissante sous la domination de la Prusse, si la Lombardie et la Vénétie ont fini par secouer le joug autrichien, cela tient à ce que les Allemands assujettissent plutôt les peuples qu’ils ne se les assimilent. Ils ne parviennent à germaniser un pays qu’en y implantant leur population. Nous avons, nous, francisé l’Alsace en nous faisant aimer des descendans des Triboques et des Alamans qui l’avaient peuplée. D’ailleurs ces annexions que nos voisins reprochent à Louis XIV n’avaient-elles pas pour but d’élever une barrière contre les invasions possibles des Germains, et ne faisaient-elles pas rentrer notre patrie en possession des frontières que la nature lui assigne ? Ceux même qui se sont le plus élevés de l’autre côté du Rhin, contre l’esprit de conquête n’ont-ils pas reconnu que la conquête devenait légitime quand elle avait pour objet d’assurer la sécurité d’un état ? « L’esprit de conquête, dit un de leurs historiens, M. de Sybel, est pour la politique extérieure ce que la révolution est pour la politique intérieure. Tous deux commencent par la négation du droit formel et existant ; tous deux peuvent être imposés à une nation par l’intérêt de sa propre conservation, et alors, en restant dans de certaines limites, ils sont quelquefois féconds en résultats. Telle a été la révolution anglaise de 1688, telle a été aussi la conquête de la Silésie et de la Prusse occidentale par Frédéric le Grand. Cette révolution et cette conquête ne portèrent un moment atteinte à l’ordre légal que pour proclamer ensuite, avec un redoublement d’énergie, le principe du maintien de la loi et des traités[1]. »

Si l’on s’en tient à cette distinction tant soit peu subtile, et qui semble imaginée pour innocenter la Prusse d’avoir été révolutionnaire quand elle y trouvait son avantage, n’est-on pas fondé à dire que l’ancienne France, une fois qu’elle fut rentrée en possession de ses frontières originelles, n’affirma qu’avec plus de force le maintien de la loi et des traités ? Nos agrandissemens sous Louis XIV furent donc autrement légitimes que ceux que recevait la Prusse par le partage de la Pologne, opéré au mépris du droit des nations, — que ceux qu’elle a dus à la dissolution prononcée par elle en 1866 de la confédération germanique, dont elle s’était engagée à défendre l’intégrité en signant la paix de 1815 qui valait à ce royaume un si notable accroissement. Des publicistes moins prévenus que M. de Sybel verraient certes dans les événemens qui seront accomplis du fait de la Prusse depuis cinq ans une véritable révolution. Toute la différence, c’est que leurs auteurs y ont mis plus

  1. Histoire de l’Europe pendant la révolution française, t. II.