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d’astuce, d’hypocrisie et, confessons-le, plus d’habileté que nous n’en mîmes dans celle qui nous fit au commencement du siècle les arbitres, presque les maîtres de l’Europe. Je le concéderai volontiers, les guerres de Napoléon Ier prirent souvent le caractère d’invasions. Ce génie impérieux et sans mesure prétendait implanter partout notre idiome et les lois, l’administration dont il nous avait dotés. Il faisait régir par des fonctionnaires français des pays auxquels nous étions antipathiques ; mais la nation ne suivit pas l’empereur dans cette voie funeste, nos pères n’émigrèrent pas pour aller franciser l’Allemagne, la Hollande, la Toscane, l’Illyrie, etc. ; quand le gigantesque empire s’écroula sous le poids de nos défaites, les contrées qui avaient momentanément grossi le nombre de nos départemens se retrouvèrent intactes dans leur nationalité.

Ajoutons d’ailleurs que la France, quand elle reprenait les fragmens de la Gaule depuis longtemps détachés, ne laissait pas la maison de Habsbourg sans compensations. Nous renoncions à disputer en Italie à l’Autriche l’influence qu’elle avait cherché à y exercer. En 1713, le traité d’Utrecht lui donnait le duché de Milan qu’à deux reprises différentes elle a possédé près d’un siècle et demi, la Sardaigne, le Siennois, le royaume de Naples. En 1736, quand le duché de Lorraine et le Barrois furent attribués viagèrement au roi Stanislas avec la clause de retour à la France après sa mort, l’empereur d’Allemagne obtenait les duchés de Parme et de Plaisance et pour son gendre le trône de Toscane. Ainsi l’Italie, toujours convoitée par les empereurs, où Léopold Ier avait saisi le Mantouan, comme ses successeurs saisirent les duchés de Modène et de Guastalla, indemnisa nos voisins de ce qu’ils perdaient par nos annexions ; les traités de Westphalie et d’Utrecht furent librement consentis, et tout alors se passa conformément au droit public. À dater de ce moment se détourna pour la seconde fois sur l’Italie le courant germanique, qui nous menaçait encore quand l’armée du prince Eugène de Savoie, aidée de celle de Marlborough, nous mettait en déroute à Oudenarde et nous battait à Malplaquet.

Par un mouvement alternatif de progression en sens opposé qui s’était déjà produit au moyen âge, l’invasion germanique se porta vers l’est, dans les pays slaves. L’électeur de Brandebourg possédait depuis 1663 en toute souveraineté la Prusse orientale ou duché de Prusse, pour lequel il relevait auparavant de la Pologne ; en 1701, ce fleuron, détaché de la couronne des Jagellons, avait servi à composer au vaniteux Frédéric Ier un diadème royal. La Prusse orientale fut alors en fait annexée à l’Allemagne ; mais la Prusse dite royale ou polonaise, située plus en-deçà, n’était pas encore totalement germanisée. Une émigration continue de marchands et d’ouvriers allemands opéra cette métamorphose, et prépara la