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elle a dû ressentir. Enfermés dans Paris, nous ne concevons encore de tout cela qu’une confuse image ; mais ce qui est certain, c’est que le mal dépasse toutes les prévisions. On se demande qui cette année nourrira la France ; on se demande surtout qui rendra le travail et la prospérité à ces populations rurales qui forment en définitive l’immense majorité de la nation. La première de ces questions n’est sans doute pas la plus difficile à résoudre, et nous sommes assurés de tirer du dehors, de Hongrie, de Russie, des États-Unis, assez de céréales pour n’être inquiets ni sur l’abondance ni sur le prix du pain. De même l’étranger peut nous fournir une somme considérable de subsistances soit en bestiaux, soit en viandes conservées, soit en denrées de toute espèce.

Mais nos vœux vont plus loin, et il nous est permis aussi d’entretenir d’autres espérances. L’agriculture du nord de la France, si nous soutenons ses efforts, pourra se relever cette année même, et de l’autre côté de la Loire nos provinces du sud, aussi patriotiques, ne voudront pas rester en arrière dans cette œuvre de salut. En accroissant leur production, elles peuvent augmenter leur propre richesse et pourvoir pour une part considérable à l’approvisionnement du pays. Ainsi, sans rejeter les ressources qui viendront de l’extérieur, nous laisserions aux mains des négocians étrangers moins de ces capitaux qui seront si précieux et si rares ; la France pourrait en grande partie se ravitailler elle-même et se payer du ravitaillement. Cette première question, prise de la sorte, se confond, on le voit, avec la seconde : ce dont il s’agit, et pour l’intérêt du moment présent et pour les intérêts de l’avenir, c’est de sauver notre agriculture. Au nord, il faut une aide qui ne se fasse pas attendre ; au midi, il faut des secours aussi et une impulsion vigoureuse. Il s’agit d’entreprendre non-seulement une cure, mais une régénération. Si les obstacles sont loin d’être insurmontables, la tâche est grande, et ce ne sera pas trop de toute l’énergie, de tout le zèle du gouvernement et des citoyens. L’agriculture française en effet a vécu, surtout depuis un quart de siècle, comme notre administration, comme notre armée, sur une renommée de convention ; louée et flattée à l’excès dans les harangues officielles, elle n’en était pas moins déjà bien affaiblie et bien débile quand ce rude choc est venu la frapper. On avait pu néanmoins dans ces derniers temps signaler en elle des tendances heureuses ; il s’agit de l’y ramener et de lui faire reprendre avec une force nouvelle cette marche vers le progrès si brutalement interrompue. Que l’agriculture compte désormais à la fois sur elle-même et sur l’état ; ses propres efforts, qui ne seront plus entravés comme sous le régime impérial par une tutelle jalouse, contribueront puissamment à la sortir de cette crise, et d’autre part