Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/615

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gage, qui assure au prêteur une garantie et donne à l’emprunteur la facilité de trouver des fonds. Or la richesse mobilière de l’agriculture française est considérable, et, même dans les départemens où l’invasion a passé, il doit en rester quelque chose. Sur un gage qui consiste en récoltes, en bestiaux et en matériel de ferme, elle devrait pouvoir emprunter. Elle ne le peut point cependant, parce que la loi (article 2076 du code civil) oblige à mettre ou à laisser le gage en la possession du créancier ou d’un tiers convenu entre les parties. Voilà qui est bien, s’il s’agit de livrer en nantissement des titres de rente, des effets de commerce, des lingots, en un mot des valeurs peu encombrantes ; mais qui peut songer à conduire au domicile du prêteur une meule de foin, un troupeau de bœufs, une locomobile ? On a bien imaginé de chercher un remède dans la création de magasins généraux où resterait entreposé le gage de l’emprunteur rural ; mais que deviendrait l’exploitation pendant que les attelages par exemple demeureraient en dépôt dans un magasin général ? Il faut donc abroger cet article 2076, ou tout au moins faire une exception en faveur de l’agriculture, le privilège du propriétaire étant d’ailleurs sauvegardé. Si l’on invoque la nécessité d’une sécurité pour le prêteur, nous répondrons que c’est un point dont ce prêteur même sera juge. Au reste, l’emprunteur, en ces circonstances, pourrait être assimilé au débiteur constitué séquestre après une saisie, c’est-à-dire constitué gardien de sa propre chose[1]. Une autre réclamation s’applique aux récoltes pendantes. Peut-on les engager ? La loi ne le veut pas, et pourtant dans nos propres colonies, des banques spécialement autorisées prêtent sur récoltes pendantes depuis longues années et à la satisfaction de tout le monde. On n’y voit donc pas de ces malheureux qui, faute de pouvoir attendre une rentrée, sont poursuivis, saisis, exécutés, tandis qu’ils possèdent au soleil une moisson qui sera bientôt mûre, et qui représente trois fois la valeur de leur dette. Pourquoi dans la mère-patrie nous refuserait-on les mêmes avantages ? Aux termes de la loi, je puis vendre ma récolte sur pied six semaines avant de la couper ; par quelle bizarrerie m’interdit-on de l’engager ? Dira-t-on que mon gage pourra être endommagé ou détruit selon le caprice de la saison ? Mais il ne s’agira que d’assurer les récoltes comme on assure les navires, et l’on ne trouvera pas qu’elles courent plus de risques que ceux-ci. Ainsi faculté de consigner le gage à domicile et faculté d’emprunter sur récoltes pendantes, ce sont les deux points principaux en matière de crédit rural, ceux auxquels

  1. Dans le cas d’un détournement à son profit de l’objet donné par lui en gage, l’article 408 du code pénal lui serait appliqué. Les peines édictées par cet article sont de deux mois à deux ans de prison, avec amende, etc.