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mas d’Aquin étant mort en 1274 et l’enseignement de Siger devant être placé vers le même temps, il semble que l’on ne se tromperait guère en supposant que Pierre Du Bois naquit vers 1250. Son éducation universitaire fut assez sérieuse ; cependant Du Bois n’est pas précisément un docteur scolastique : la forme de ses écrits n’est pas celle de l’école ; on voit qu’il est nourri des poésies populaires de la geste carlovingienne, auxquelles il attribue une pleine valeur historique. Ses idées sur l’astrologie judiciaire et même sur la médecine et la physiologie, bien que tempérées par des considérations déistes, rappellent également plutôt les théories matérialistes de l’école de Padoue que la théologie orthodoxe de Paris. Il est vrai que Du Bois pouvait les tenir de Roger Bacon, avec qui on est tenté de croire qu’il a eu des rapports. Il cite un de ces opuscules ou petits cahiers dont la réunion a formé l’Opus majus, opuscules rares, qui n’étaient nullement entrés dans le courant de l’enseignement ; en outre il partage avec Bacon la connaissance et le goût de certains écrits, tels que ceux de Hermann l’Allemand, qui paraissent avoir été peu répandus.

Du Bois embrassa la carrière des lois au moment même où s’opérait dans la judicature française la plus importante des révolutions. La justice séculière prenait définitivement le dessus sur la justice d’église, et reléguait celle-ci dans un for ecclésiastique très large encore, mais qui n’était rien auprès de l’immensité des attributions que les cours cléricales s’étaient arrogées jusque-là. En 1300, nous trouvons Pierre Du Bois exerçant à Coutances les fonctions d’avocat des causes royales. Déjà, sans doute avant cette époque, il était entré en rapport avec quelques-unes des personnes du gouvernement. En effet, le premier écrit qui nous reste de lui, le Traité sur l’abrègement des guerres et des procès, daté avec la plus grande précision des cinq derniers mois de l’an 1300, est adressé à Philippe le Bel, et rentre tout à fait dans l’ordre de préoccupations qui dictèrent le prononcé papal de 1298, ainsi que les actes de la diplomatie royale en 1300. Cet ouvrage témoigne d’une connaissance étendue des amures politiques de l’Europe et des secrets de la cour de France ; on ne peut supposer qu’un obscur avocat de province, sans rapports avec la cour, fût si bien renseigné. Nous allons d’ailleurs trouver bientôt Pierre Du Bois en relation avec Jean des Forêts et Richard de Neveu, deux instrumens de la politique de Philippe. Il était également lié avec Henri de Rie, vicomte de Caen, qui paraît avoir partagé ses principes et ses jugemens sur les affaires du temps.

Dès cette époque, Pierre Du Bois s’annonce à nous comme un esprit mûr, étendu, pénétrant. On reconnaît en lui l’élève de ce Siger « qui syllogisa d’importunes vérités, » et tira de l’étude de